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GRAMMAIRE DES ARTS DU DESSIN.

et qui na pas été observée, tant elle est simple, un temple rectangulaire, comme celui de Pœstum, grandit par ses lignes ; une coupole, au contraire, se rapetisse par les siennes, de façon que les deux monuments nous trompent en sens inverse, l’un nous cachant sa petitesse, l’autre sa grandeur !

« On peut, dit Sulzer, parcourir le globe entier sans le trouver grand. Car si l’on ne se représente jamais que la seule partie de terre qu’on occupe, l’imagination n’a aucun effort à faire pour s’en former une idée. Mais si l’on veut d’un seul coup se représenter un espace de cent lieues et plus, il faut alors un effort de la pensée : de là l’idée et le sentiment de la grandeur. » Cet aperçu nous parait en un point manquer de justesse. Il ne faut pas plus d’effort à la pensée humaine pour se transporter au bout de l’univers que pour franchir l’espace d’une lieue, ce n’est donc pas de l’effort que naît le sentiment de la grandeur. Il nait, ce sentiment, de ce que notre imagination, au lieu de parcourir le globe à petites journées et à travers mille détours, embrasse d’un seul regard l’intervalle immense et en saisit l’immensité sans fractionnement aucun, en son entier, comme si une ligne droite unissait aux yeux de la pensée les deux extrémités de la terre. Pour l’architecture comme pour les autres arts du dessin, le secret de la grandeur est de présenter les objets dans leur indivision, dans leur tout.

Ainsi s’explique en quelque manière la sublimité des monuments humains. Par la contemplation de la nature, les grands artistes ont pénétré en son impénétrable génie, ils ont découvert les moyens qu’elle emploie pour manifester dans ses créations la force ou la douceur, la majesté ou la grâce, et, en lui empruntant son langage silencieux de lignes et de formes, ils en ont imité l’éloquence dans des monuments muets comme la nature, mais expressifs comme elle. De sorte qu’après avoir traversé l’esprit de l’homme, les lois du monde visible se sont de nouveau immobilisées dans la pierre ou dans le granit, et cette immobilité même est peut-être ce qui nous émeut le plus fortement. Comme l’a dit Joubert dans ses admirables Pensées, « les ouvrages où il y a le plus de repos, mais un repos qui nous émeut, sont plus beaux que ceux où il y a plus de mouvement. Le mouvement donné par l’immobile est le plus parfait et le plus délicieux ; il est semblable à celui que Dieu imprime au monde. »