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ANNALES DU MUSÉE GUIMET

oreilles ceux qui restaient en arrière et qui se querellaient pour prendre la place les uns des autres, afin de jeter un coup d’œil sur l’homme blanc.

En attendant la réponse du gouverneur, le jour tomba et la nuit vint, sans autre incident que l’envoi d’une lettre impertinente qu’on nous adressa et que Kim me dit être une sorte d’interrogatoire pour connaître les raisons de notre voyage. L’auteur de cette lettre pleine de menaces n’avait pas cru nécessaire d’y mettre son nom, ce que je considérai comme un présage encourageant ! Dès lors, toutes les dispositions furent prises par mes Japonais en vue d’une attaque. Le 29, à 10 heures du matin environ, j’envoyai Kim à terre pour s’enquérir auprès du mandarin des raisons de son silence. Il revint peu après pour me dire qu’une tente avait été dressée et que le préfet de police me recevrait sans délai, mais qu’on ne savait rien des intentions du mandarin. Vers midi, un messager vint m’apporter l’autorisation de descendre à terre. En même temps, des fonctionnaires en costume d’apparat, précédés de musiciens, s’assemblaient : aussitôt Kim et moi nous nous mîmes en route, protégés contre la foule par un détachement de keuissos (gardes), qui frappaient sans relâche la populace avec des bâtons et d’énormes gourdins.

Entrés dans la tente, nous nous trouvons en présence du préfet et d’un autre fonctionnaire, son subalterne, tous deux richement vêtus et assis en grande pompe sur une sorte de trône. Chacun de ces dignitaires portait de grosses lunettes de cristal fumé. Je fus l’objet de questions innombrables, relatives aux motifs qui m’avaient fait entreprendre ce voyage, et à toutes je répondis en présentant mon passeport et la dépêche officielle dont j’étais porteur : « J’ai affaire au gouverneur. Pourquoi ne m’écrit-il pas ? » On me demanda en outre si j’étais missionnaire. À cette interpellation aussi singulière qu’inattendue, je répliquai quelque chose qui signifiait la négative. Le préfet parut très étonné que je fusse venu seul, sans un compagnon blanc, et me dit : « Je ne puis comprendre que vous soyez venu à Quelpaërt tout seul. » Et il ajouta : « Si vous aviez amené un autre homme blanc avec vous, cela aurait été très mauvais pour vous et le peuple vous aurait tués tous les deux. » Franchement, je commençais à penser que la population était peut-être moins hostile aux étrangers que les fonctionnaires eux-mêmes. On envoya alors chercher un de mes ma-