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LA CORÉE OU TCHÖSEN

telots japonais : on prit exactement note de son âge, de sa profession et de son nom, et en même temps de tous les détails qui nous concernaient.

Je portais un uniforme militaire qui avait fait un long service, mais qui était encore élégant et richement orné de galons d’or. Il provoquait presque autant de surprise et d’attention que ma personne. Mes cheveux, mes yeux et mon teint étaient un sujet d’étonnement constant pour la foule qui ne pouvait être retenue en arrière que par les coups ininterrompus des gourdins. La collation d’usage fut ensuite apportée : elle consistait principalement en algues marines frites, en poisson, en biches de mer (holothuries), et diverses autres choses que je ne pus identifier, et en vin (extrait de céréales). Après avoir mangé les algues et bu cette liqueur, je me trouvais, en fin de compte, fatigué de cette réception interminable. Je me levai pour m’en aller et retournai à mon bateau. Plus tard les fonctionnaires vinrent me voir et je les abouchai avec Kim qui leur montra tout mon attirail. Mes jumelles de théâtre et de campagne leur procurèrent — ce qui paraîtra étrange — la plus grande surprise. C’était pour eux une chose absolument magique que de voir les objets se rapprocher d’eux au point, disent-ils, de pouvoir les toucher.

Le 30 septembre au matin, le gouverneur, à qui j’avais envoyé une note pour protester contre la situation qui m’était faite, et qui était en somme celle d’un prisonnier, donna des ordres pour que je fusse conduit à la capitale. Les préparatifs du départ terminés et des poneys ayant été mis à notre disposition, je partis avec mon interprète, le cuisinier et un matelot japonais, accompagné de bannières déployées et de musiciens jouant des airs discordants. Un détachement de deux cents soldats composait l’escorte. Et quels soldats ! À les voir vêtus d’une sorte d’armure ou cotte de mailles déchirée, couverts de casques munis d’une pointe, leurs longs cheveux s’échappant de leur coiffure et tombant sur leur figure et autour de leur cou, on aurait cru qu’ils avaient servi sous les drapeaux de Ghenkis-Khân et de Koublai-Khân, ou qu’ils avaient formé une partie des hordes de Tamerlan ou des troupes mantchoues et mongoles qui, plus tard en 1637 (quinze ans seulement avant l’arrivée de Hamel), envahirent la Corée, brûlèrent Séoul et s’emparèrent de la famille royale. Leurs fusils étaient du modèle le plus rudimentaire et le plus primitif. Si ce n’étaient