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le peuple du pôle

côté de celles qui nous attendent à notre relour !

Je ne pus m’empêcher de le considérer avec quelque pitié. Puis à la pitié succéda l’irritation. La phrase ridicule avait rompu le charme. Depuis plus d’un quart d’heure les hélices propulsives avaient été embrayées ; déjà le navire s’évanouissait derrière nous, et les hommes, dont les regards nous accompagnaient encore, n’étaient plus que des taches noires sur la neige. Aussi loin que ma vue pouvait s’étendre, je n’apercevais que la monotone blancheur des solitudes polaires. Le froid commençait à nous engourdir et nous entrâmes dans la « chambre de chauffe » dont la porte fut soigneusement fermée.

Alors nous nous aperçûmes que nous n’avions plus rien à nous dire. Ceintras s’absorba en silence dans le réglage des manettes, et moi, après avoir vainement tenté de nouer quelque conversation je m’abandonnai au fil d’une vague rêverie. Bientôt, bercé par le bruit monotone du moteur et accablé par les fatigues des jours précédents, je me sentis peu à peu envahi par une profonde somnolence. Je crois que j’étais arrivé au bord même du sommeil lorsque Ceintras me tira soudain par la manche en s’écriant hargneusement :

— J’ai faim !

Il marmotta ensuite quelques imprécations et