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Page:Charles d Orléans - Poésies complètes, Flammarion, 1915.djvu/14

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Bossuet près de La Fontaine, Sévigné dans le voisinage de Pascal ; et notre grand homme, ce n’est pas celui qui a l’esprit le plus varié, le génie le plus vaste, l’imagination la plus colorée, le style le plus pur, c’est l’homme qui a su le mieux équilibrer la force et la finesse, c’est Molière. Cet équilibre, il semble que nous devions le chercher sans cesse par des réactions, même par des excès de l’une de ces qualités quand l’autre s’est livrée à la débauche : après les épenses de mièvrerie et de poésies fugitives où la Finesse se ruinait au commencement du xviiie siècle, vinrent à la fin les extravagances mugissantes de la Force, les discours pompeux, les proclamations emphatiques et les déclamations enthousiastes. Et pourtant derrière toutes ces parades de la Force en délire la Finesse, tout efl’arouchée qu’elle fût, préparait ses traits qui allaient partir sous le Directoire en mille couplets, vaudevilles et pamphlets.

Enfin, cet équilibre, la postérité dans ses jugements travaille toujours à l’établir. Elle donne leur revanche aux représentants de la Finesse quand ceux-ci, écrasés par une puissante rhétorique, par un pédantisme tyrannique, par un goût excessif de l’ampleur et de la vigueur, ou par un besoin momentané du travail scolastique et de la recherche érûdite, ont été méconnus par leurs siècles.

C’est ici que j’en viens directement à Charles d’Orléans.

Il occupe dans l’histoire littéraire, comme dans l’histoire politique, nous le verrons, la plus rare position, et si rare qu’elle a presque les allures d’un mystère.

Voici, en effet, un poëte, un vrai poëte, non pas un artiste dans telle et telle école, au nom de telle ou telle mode ou règle de rhétorique, mais un poëte du cœur humain, inspiré par un sentiment large, naturel et sincère. Encore aujourd’hui, il nous paraît charmant malgré la vétusté et les couleurs ternies de l’habit qu’il porte. Ce poëte était, en même temps, un grand seigneur, un prince, un Mécène. Il méritait donc d’être connu, et il avait toute chance d’être vanté. De plus, il arrive au commencement de la Renaissance, au moment où la passion de la poésie est développée jusqu’au délire ; il écrit aux débuts de l’imprimerie, au temps où les plus creuses rimes sont reproduites. Il avait donc de plus en plus chance