Page:Charles d Orléans - Poésies complètes, Flammarion, 1915.djvu/24

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dont la gravité allait se développer de jour en jour et le mettre lui en une telle lumière que l’histoire de France n’est plus à ce moment que l’histoire de Charles d’Orléans ? C’est la première de toutes les questions sur lesquelles les biographes de notre poëte sont peu d’accord ; et ici, comme en tout le reste de cette étude, je voudrais me délier de l’enthousiasme des uns comme de la rudesse critique des autres.

On ne peut pas demander à cet adolescent de feize ans, quittant brusquement la tutelle d’un père tel que Louis d’Orléans, d’avoir vu tout clairement que lui, son nom, son parti allaient devenir la France, la nationalité française et d’avoir été de prime abord à la hauteur d’une telle situation. Je reconnais volontiers qu’il n’y fut jamais — et pour y être, il n’eût fallu rien moins que voler la couronne et prendre le pouvoir royal. — Ce fut son nom plutôt que sa personne qui commanda son parti, et il fut un drapeau plutôt qu’un chef. Si je puis dire, le vrai chef fut Bernard d’Armagnac et il portait notre duc comme un drapeau. Je sais bien encore que les qualités intellectuelles fines et charmantes que Charles montra plus tard et qui étaient essentielles à sa nature, n’accompagnent généralement pas les dons du grand capitaine et du grand homme d’État. Mais il n’était pas si dénué qu’on le dit de l’ambition qui distingue son père, de l’ardeur et de la diplomatie que montra Valentine. Nous le voyons toujours en tête des siens, à la bataille et mêlé à tous les conseils. Il n’était sans doute pas en âge de les diriger ; toutefois il accepta volontiers les plus énergiques, et il les suivit, revenant sans cesse à la rescousse, reprenant toujours la lutte. On lui reproche d’avoir laissé à son frère Philippe la plus grande part du soin de la guerre, on oublie qu’il était, non-seulement chef de guerre, mais chef de famille et chef de parti et qu’il avait des devoirs politiques, des fonctions diplomatiques à remplir qui pouvaient fort bien le forcer à remettre à son frère une autre partie de son fardeau. On l’accuse encore d’avoir accepté à plusieurs reprises de faire la paix avec l’assassin de son père. Ne faut-il pas tenir compte et des circonstances et de l’autorité royale qui reparaissait, en ces moments !à, avec toute sa puissance et son prestige pour dominer l’adolescent, et aussi de l’impression profonde que pouvaient faire dans ce jeune et sincère esprit les con-