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Page:Charles d Orléans - Poésies complètes, Flammarion, 1915.djvu/36

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les souffrances que le pauvre et doux prince indique avec son vague et triste sourire. Dans ces liens sans cesse renaissants, si l’on peut dire, dans ces murs qui semblaient, comme le laurier enveloppant Daphné, monter lentement, serrement, continûment autour du prisonnier, il chercha, quand toute espérance de salut lui fut enlevée, sa consolation dans la poésie. Adieu les rêves de l’ambition, adieu les brillants voyages, les belles chasses, les aventures de guerre ; adieu les fêtes galantes, le luxe, le bien-être même ; adieu l’amie et l’ami. Mais la poésie a rendre tout cela, elle va changer cette grande tempête de la douleur en la douce et chaude petite pluie de la mélancolie. Je sais bien qu’on ne peut ici parler de noir cachot, de cette porte des antiques prisons qui s’entr’ouvrait pour laisser entrevoir le beau ciel pendant un instant et rendre plus horribles encore les murailles de la prison. Moralement pourtant c’était cela, et ces efforts toujours vains, ces espérances de liberté toujours trompées, rendaient bien l’effet de découragement et d’affaissement de cette porte de cachot qui s’ouvre un instant et se referme encore, et encore, et toujours. Bien des traits nous prouvent d’ailleurs qu’il s’agissait pour lui d’une véritable prison. Il avait une trop grande valeur, et politique et financière, pour que le gouvernement anglais, qui avait déjà les qualités pratiques qu’il a continué de perfectionner, ne sacrifiât pas tout au soin de le garder savement comme le dit un de ses geôliers. Les lettres du Conseil d’Angleterre à ses gardiens, recommandaient une garde sévère. Nous voyons qu’on ne lui permettait de causer avec nul étranger sans témoins. Et quand je l’aperçois dans ces gravures d’un manuscrit anglais qui nous le montrent assis dans son roide banc, devant sa tabe écrivant et rêvant au milieu de gardes et de soldats, je remercie la bonne muse de pouvoir lui faire oublier cette muraille vivante de corps brutaux et de cœurs ennemis qui ne le quittaient plus. Je le remercie, lui, d’avoir demandé aux lettres la compensation de tant de biens perdus. Je comprends comment ce jeune chef de guerre, ce chevalier actif, ce tendre et hardi servant du dieu d’amours est devenu cet alourdi vieillard, je devine comment la religion du dieu Nonchaloir s’est imposée à lui, et je prépare dans mon esprit, dans l’esprit de mes lecteurs, j’espère, les excuses dont il