Page:Charles d Orléans - Poésies complètes, Flammarion, 1915.djvu/37

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aura bientôt besoin. Mais nous en sommes encore au règne de Cupido et Vénus la déesse.

La poésie domine donc, à nos yeux, cette période de vingt-cinq années qui s’écoula entre la bataille d’Azincourt et la délivrance. « Ici finit, nous disent certains manuscrits, le livre que monseigneur d’Orléans écrivit dans sa prison. » C’est ce que j’ai traduit par Poëme de la Prison. Je n’ignore pas que cette note des manuscrits n’est pas un document irréfutable ; mais il en faut tenir grand compte. Bien des pièces, d’ailleurs, qui composent ce poème, portent avec elles la preuve absolue qu’elles ont été composées entre 1415 et 1440 ; pour d’autres, il n’y a qu’une preuve morale. Mais ont-elles été toutes écrites à cette époque ? je suis porté à ne pas le supposer. Je pense que ce poème allégorique est un cadre qui aura servi à enfermer, à conserver, à coordonner les pièces composées jadis, à côté d’autres écrites pendant la prison, soit pour une nouvelle amie, soit pour compléter l’œuvre d’art. Le poëme allégorique est généralement une œuvre de pure imagination. Celui-ci — et c’est ce qui lui donne un caractère à part — renferme nombre de ballades qui sont réellement un récit, un envoi, une offrande. On comprend qu’elles se rapportent à tel fait vraiment arrivé, à telle impression ressentie à un moment précis, et à la suite d’un incident réel. Que plusieurs de ces pièces aientété faites avant l’an 1415, j’en suis très-convaincu. On y trouve l’élan, l’ardeur primesautière, le vif écho du sentiment, le jet de l’inspiration, le cri naïf de la plainte ou du désir qui veulent obtenir les dons d’amour bien plutôt que plaire à la muse ou à l’amante ; et c’est la marque, non-seulement de la réalité mais aussi de la jeunesse. Le fils qui pleurait son père assassiné, et sa mère morte de douleur, le vengeur qui poursuivait sa mission de haine, le capitaine courant sans cesse aux aventures sanglantes, le chef féodal, empêché de diplomatie, n’avait sans doute pas grand loisir pour songer aux rimes et aux gracieuses tendresses. Toutefois, dans ce cerveau si bien disposé pour la poésie, dans ce cœur facilement tenté par l’amour, dame Vénus et le seigneur Apollo ne durent pas attendre l’âge mûr pour parler. Il nous dit lui-même que dame Jeunesse, quand elle le prit des mains d’Enfance, le mena au palais de Cupido, et l’éternel amour,