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CHARLES D’ORLÉANS.

Et envoyay vers mon cueur un penser,
En lui priant qu’il giettast hors ce dard.
Helas ! helas ! g’y envoiay trop tard,
Car quant Penser arriva vers mon cueur,
Il le trouva jà pasmé de doulceur.
     Quand je le sceu, je dis par desconfort :
Je hé ma vie et désire ma mort !
Je hé mes yeulx, car par eux suy deceu !
Je hé mon cueur qu’ay nicement perdu !
Je hé ce dard qui ainsi mon cueur blesse !
Venez avant, partués moy, Destresse,
Car mieulx me vault tout à un cop morir
Que longuement en desaise languir.
Je congnois bien, mon cueur est pris ès las
Du dieu d’Amours, par vous. Beauté, helas !
     Adonc je cheu aux piez d’Amours malade,
Et semblay mort, tant euz la coleur fade.
Il m’apperceu, si commença à rire
Disant : « Enfant, tu as besoing d’un mire ;
Il semble bien par ta face palie
Que tu seuffres tresdure maladie ;
Je cuidoye que tu fusses si fort
Qu’il ne fust riens qui te peust faire tort ;
Et maintenant, ainsi soudainement,
Tu es vaincu par Beauté seulement.
     Où est ton cueur par le présent alé ?
Ton grant orgueil est bientost ravalé :
Il m’est advis tu deusses avoir honte,
Si de legier, quant Beauté te surmonte
Et à mes piez t’a abatu à terre.
Revenge toy, se tu vaulx riens pour guerre ;
Ou à elie il vault mieulx de toy rendre,
Se tu ne scez autrement te deffendre ;
Car de deux maulx, puisque tu peuz eslire,
C’est le meilleur que preignes le moins pire. »