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POÈME DE LA PRISON.

     — Par moy contraint, dist Amour, ne seras
Mais de céans jamais ne partiras
Que ne soies ès las amoureux pris.
Je m’en fais fort ; se bien l’ay entrepris.
Souvent mercy me vendras demander
Et humblement ton fait recommander ;
Mais lors sera ma grâce de toy loing ;
Car, à bon droit, te fauldray au besoing,
Et si feray vers toy le dangereux,
Comme tu fais d’estre vray amoureux.
     Venez avant, dist il, Plaisant Beauté,
Je vous requier que, sur la loyauté
Que me devez, le venez assaillir ;
Ne le laissiez reposer ne dormir,
Ne nuit, ne jour, s’il ne me fait hommage.
Aprivoisiez ce compaignon sauvage.
Ou temps passé vous conqueistes Sampson
Le fort, aussi le saige Salemon.
Si cest enfant surmonter ne savez,
Vostre renom du tout perdu avez »
     Beauté lors vint, de costé moy s’assist,
Ung peu se teut, puis doulcement m’a dit ;
« Amy, certes, je me donne merveille
Que tu ne veulx pas que l’en te conseille ;
Au fort saches que tu ne peuz choisir ;
Il te convient à Amour obéir. »
Mes yeulx prindrent fort à la regarder,
Plus longuement ne les en peu garder.
Quant Beauté vit que je la regardoye,
Tost par mes yeulx un dard au cueur m’envoye.
     Quant dedens fu, mon cueur vint esveiller
Et tellement le print à catoillier
Que je senty que trop ioit de joye.
Il me despleut qu’en ce point le sentoye.
Si commençay mes yeulx fort à tenser,