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pagnent les voix, et cela fait un effet beaucoup meilleur
que je n'aurois présumé. Je me suis fait beaucoup priser
ot chérir des principaux musiciens du pays, en criant
bravissimo à tout propos, et en ménageant on ne peut
pas moins leur modestie. Car il ne faut pas se figurer
que les expressions simples ou positives soient d'usage
dans ce pays-ci ; le comparatif même y est négligé, et
dans les grandes occasions, il faut savoir surcharger le
superlatif, et dire d'une chose passable : optimissime.
Par exemple, on nous a tant vanté les îles Borromées,
comme un lieu enchanté, qu'il a fallu par bienséance
y faire un voyage. Nous partîmes le 13, de grand matin,
tirant du côté de la route de la Valteline, et allâmes dîner
sur les sept heures du matin à Castellanza, joli séjour par
son ombre et ses eaux ; de là à Sesto, petite ville distante
de trente-quatre milles de Milan. Tout cet intervalle de
chemin est plat et fort couvert d'arbres jusqu'à une lieue
de Sesto, où l'on commence à sentir les racines des
Alpes. À Sesto, nous nous embarquâmes sur le Lac
Majeur. Oh ! de grâce faites-moi justice d'un petit faquin
de lac qui, n'ayant pas vingt lieues de long, et d'ailleurs
fort étroit, s'avise de singer l'Océan, et d'avoir des vagues
et des tempêtes. Je crois en vérité que quelque Lapon a
fait un pacte avec le malin pour nous procurer un abon-
nement de vents contraires. Nous n'eûmes pas fait cinq
milles sur le lac, que la tramontane se mit à souffler
comme une désespérée ; maigre cela nous tînmes bon
quelque temps et dépassâmes Angera à droite, et à
gauche Arona, patrie de saint Charles. Vous ne pouvez
vous figurer en quelle vénération est ici ce personnage.
En vérité, on ne l'y estime guère moins que Dieu même,
et de vrai, à tout moment, on trouve ici des traces de ses
bienfaits et de l'utilité dont il a été au pays. Il est
singulier qu'un homme qui a si peu vécu ait pu faire
autant de choses de différents genres, toutes exécutées
dans le grand, et marquant de hautes vues pour le bien
public. Sur la place où il est né à Arona, on a élevé
sa statue colossale de bronze (1), haute, y compris le
piédestal, de soixante brasses ; c'est-à-dire de quatre-
(I) La statue n'est pas de bronze, elle est faite de pièces de rapport
ot n'a pas élé fondue.