LETTRE XVI
Quoique je vous aie annoncé par Blancey, mon cher
Quintin, que je ne vous parlerois pas de la ville, ce seroit
trop que de n’en rien dire du tout. Vous pouvez avoir sur
son chapitre de fausses idées, qu’il est de mon devoir de
narrateur de ne vous point laisser. Par exemple, vous
connaissez de réputation le palais de Saint-Marc ; c’est un
vilain monsieur, s’il en fut jamais, massif, sombre et
gothique, du plus méchant goût. La grande cour en
dedans ne laisse pas cependant, surtout d’un côté, d’avoir
quelque chose de magnifique dans sa construction ; elle
est assez singulièrement ornée par deux puits, dont les mar-
gelles prodigieuses, d’un seul jet de bronze, sont d’un
travail aussi fini que considérable, et par un superbe
escalier tout de marbre blanc et violet, qu’on a nommé
par anticipation, sachant que j’y devois passer, l’escalier des Géants. Il conduit à un autre, fort orné de statues et de dorures, qui conduit lui-même aux salles où se
tiennent les différents conseils. Ces appartements, selon
l’ordinaire des vieux palais, sont mal distribués, mal
tenus et assez sombres ; mais si fort enrichis de peintures
des plus grands maîtres, qu’il n’a pas fallu moins de huit
jours entiers à notre badauderie pour en voir le bout. Le
Doge est logé dans ce palais ; c’est de tous les prisonniers
de l’état le plus mal gîté à mon gré ; car les prisons
ordinaires, qui sont près du palais, sont un bâtiment
tout-à-fait élégant et agréable. Je ne veux cependant pas
y séjourner trop longtemps, et je vais au plus vite à l’église
de Saint-Marc.
Vous vous êtes figuré que c’étoit un lieu admirable ; mais vous vous trompez bien fort ; c’est une église à