Page:Charles de Brosses - Lettres familières écrites d’Italie - ed Poulet-Malassis 1858.djvu/173

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manutention de la police dans la maison. J’en suis moins surpris depuis que je sais que les religieuses en portent, et que j’ai appris qu’une abbesse, aujourd’hui vivante, s’étoit jadis battue à coups de poignard contre une autre dame, pour l’abbé de Pomponne. L’aventure ne laissa pas de faire quelque éclat, car elle ne s’étoit pas passée dans le couvent.

La Bagatina est la plus splendide de toutes les courtisanes de Venise. Elle est logée dans un petit palais meublé superbement, et parée de bijoux comme une nymphe. À la vérité, c’est la moins jolie de toutes celles du premier ordre ; mais, d’un autre côté, qui peut nier que les faveurs d’une main couverte de diamants, ne soient véritablement précieuses ?

Je reviens en ce moment de Murano, où j’ai été voir travailler à la manufacture de glaces. Elles ne sont pas aussi grandes ni aussi blanches que les nôtres ; mais elles sont plus transparentes et moins sujettes à avoir des défauts. On ne les coule pas sur des tables de cuivre comme les nôtres ; on les souffle comme des bouteilles. Il faut des ouvriers extrêmement grands et robustes pour travailler à cet ouvrage, surtout pour balancer en l’air ces gros globes de cristal, qui tiennent à la longue verge de fer qui sert à les souffler.

L’ouvrier prend dans le creuset du fourneau une grosse quantité de matière fondue, au bout de sa verge creuse : cette matière est alors gluante et en consistance de gomme. L’ouvrier, en soufflant, en fait un globe creux ; puis, à force de le balancer en l’air et de le présenter à tout moment à la bouche du fourneau, afin d’y entretenir un certain degré de fusion, toujours en le tournant fort vite, pour empêcher que la matière présentée au feu ne coule plus d’un côté que d’un autre, il parvient à en faire un long ovale. Alors un autre ouvrier, avec la pointe d’une paire de ciseaux, faits comme des forces à tondre les moutons, c’est-à-dire qui s’élargissent en relâchant la main, perce l’ovale par son extrémité. Le premier ouvrier, qui tient la verge à laquelle est attaché ce globe, le tourne fort vite, tandis que le second lâche peu à peu la main qui tient les ciseaux. De cette manière l’ovale s’ouvre en entier par l’un des bouts, comme un marli de verre. Alors on le détache de la première verge