Page:Charles de Brosses - Lettres familières écrites d’Italie - ed Poulet-Malassis 1858.djvu/228

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M. le Régent, comme un des premiers qui existent. Vasari en parle à peu près de même et il ajoute qu’il est peint sur toile, circonstance qui veut dire que celui du Grand-Duc est le véritable parmi les quatre, les trois autres étant sur bois. Il seroit fort singulier que l’un des bons connaisseurs qu’il y eût jamais eût placé une copie au premier rang. Au reste, si le tableau de M. le Régent est une copie, c’est à coup sûr une copie de la main de Raphaël même, car les grands maîtres ont souvent copié leurs propres ouvrages. Mais on prétend que ces copies n’ont pas pour l’ordinaire le feu original de la première main. Ce tableau, soit ici, soit au Palais-Royal, est assurément d’une grande beauté ; mais j’aurois peine à le mettre, comme De Piles, dans la première classe. Il n’a qu’une figure ; il est tout-à-fait triste et sans agréments. Il est vrai que la composition en est excellente, et qu’on ne pouvoit mieux rendre le sujet vox clamantis in deserto, très-difficile à traiter par lui-même. Le dessin est d’une correction achevée, le paysage convenable au sujet, la figure pleine de feu ; et il n’y avoit que Raphaël capable de mettre autant de vie et d’action dans une seule figure.

Pour communiquer de la galerie au palais Pitti où loge le Grand-Duc, et qui est assez éloigné, on a jeté par-dessus les maisons et par-dessus les ponts, comme on a pu, de très-longs corridors. Le palais Pitti donne sur une place longue et étroite, dont il occupe tout un des grands côtés ; aussi sa façade est-elle énormément longue, toute d’une venue et sans ornements, à moins que l’on ne veuille prendre pour tels, les masses de pierres rustiques et inégales, dont elle est entièrement construite. En récompense, la cour intérieure est d’un très-beau dessin, composé de trois ordres l’un sur l’autre, dont toutes les colonnes sont rustiquées, et à collier comme celles du Luxembourg, auquel ce palais ressemble beaucoup ; et en effet, c’étoit l’idée de Marie de Médicis de faire bâtir à Paris sa maison natale. Le palais de Florence est construit par Brunelleschi et par Ammanato. Si on l’avoit fait en entier sur le dessin qu’on m’a montré, ce seroit un des plus beaux ouvrages de l’Europe. Le fond de la cour est une grande grotte ornée en dedans de statues, et contenant un vivier rempli de poissons. Le comble du dôme forme une fontaine de marbre blanc, avec trois jets d’eau.