Page:Charles de Brosses - Lettres familières écrites d’Italie - ed Poulet-Malassis 1858.djvu/235

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Mais Maleste ne se moque-t-il pas de moi, peut-être avec quelque raison, s’il me sait assez fou pour donner dans les variantes ? Je n’en fais pas plus de cas que raisonnablement on en doit faire ; mais quand on a entrepris de donner une édition d’un ancien auteur, aussi bonne et aussi complète qu’il soit possible, il me semble que l’on doit commencer par ne rien omettre pour avoir le texte parfaitement correct, et que l’on ne peut s’assurer sans cela d’avoir fait une traduction tout-à-fait fidèle. Je suis encore plus en peine de mes notes qui ne sont que trop longues, quoique je me sois borné au seul historique qui est de mon sujet, sans toucher, qu’autant qu’il a été indispensable de le faire, au sec et insipide grammatical : encore trouvera-t-on peut-être que j’y suis trop entré. Tout ce qui est du ressort de la littérature n’est plus guère du goût de notre siècle, où l’on semble vouloir mettre à la mode les seules sciences philosophiques, de sorte que l’on a quasi besoin d’excuses quand on s’avise de faire quelque chose dans un genre qui étoit si fort en vogue il y a deux cents ans. À la vérité nous n’en avons plus aujourd’hui le même besoin ; mais en négligeant, autant qu’on le fait, les connaissances littéraires, n’est-il pas à craindre que nous ne retournions peu à peu vers la barbarie dont elles seules nous ont retirés ? Si je ne me trompe, nous avons déjà fait quelques pas de ce côté-là.


À force d’analyse, d’ordre didactique et de raisonnements très-judicieux, où il ne faudroit que du génie et du sentiment, nous sommes parvenus à rectifier notre goût en France, au point de substituer une froide justesse, une symétrie puérile, ou de frivoles subtilités métaphysiques, au grand goût naturel de l’antique, qui régnoit dans le siècle précédent.


Mille embrassements à nos amis. Que dites-vous de l’aventure de Bufîon ? Je lui ai écrit de Venise, et j’attends avec impatience de ses nouvelles. Je ne sache pas d’avoir eu de plus grande joie que celle que m’a causée sa bonne fortune, quand je songe au plaisir que lui fait ce Jardin du Roi. Combien nous en avons parlé ensemble ! combien il le souhaitoit et combien il étoit peu probable qu’il l’eût jamais à l’âge qu’avoit Dufay ! Ecrivez-moi souvent, et toujours désormais à Rome, poste restante. Adieu mon