Page:Charles de Brosses - Lettres familières écrites d’Italie - ed Poulet-Malassis 1858.djvu/48

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nos deux chères compatriotes qui m’attendoient dès le 6 du mois. Ma joie de les voir fut telle que vous pouvez vous le figurer. Elles me remirent votre lettre où je reconnus sans peine votre style aussi plein de fanfaronneries qu’absolument destitué de sens commun. La conversation roula sur tous les gens de connaissance. Il me parut qu’à huit ou dix infidélités près, la grande fille vous était toujours fortement attachée. Elles se portent toutes deux à merveille ; vous les reverrez l’une et l’autre au commencement du mois prochain.

Trois galères, sous les ordres de M. de Maulevrier, chef de l’escadre, sont demandées pour aller reconduire madame la duchesse de Modène à Livourne, les derniers jours de juin. M. de Fontette monte la principale galère, en qualité de capitaine de pavillon, en sorte que maintenant il n’est pas sans occupation.

L’amitié du comte de Fontette pour moi a rejailli sur toute notre société qui se trouve comblée de ses bonnes manières. Je lui sais bon gré de nous avoir fait faire connoissance avec les melets, petit poisson d’un commerce charmant et d’un mérite distingué. Chose que l’avenir ne pourra croire, entre Sainte-Palaye et moi, nous fîmes à ce dîner la valeur d’un Blancey.

Marseille peut se distinguer en trois villes : celle delà le port, appelée Rive-Neuve, qui m’a paru peu de chose ; la vieille, riche, puante et peu jolie ; et la neuve, ou demeurent tous les gens de condition, composée de longues rues alignées. Presque toutes les maisons ont des façades agréables sur la rue ; point de cours, et de petits jardins embellis de jets d’eau pour la plupart. Le port est une de ces choses que l’on ne trouve que là. Il est fort long et beaucoup moins large à proportion, plein à l’excès de toutes sortes de bâtiments, felouques, tartanes, caïques, brigantins, pinques, vaisseaux marchands et galères, qui en font le principal ornement. Tout le côté de la terre est garni de boutiques où l’on débite surtout des marchandises du Levant ; elles y sont si courues qu’un espace de vingt pieds en carré se loue cinq cents livres. L’autre côté est garni aussi de petites boutiques dans des bateaux où l’on vend des oranges, des merceries, etc. Les galériens, attachés avec une chaîne de fer, ont chacun une petite cabane où ils exercent tous les métiers imaginables.