Page:Charles de Brosses - Lettres familières écrites d’Italie - ed Poulet-Malassis 1858.djvu/55

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Cadière d’avoir choisi ce bourg pour y opérer ses miracles.

Nous arrivâmes à Toulon à dix heures, n’ayant fait en poste que sept lieues ; mais les chevaux ne sont pas mieux conditionnés que les chemins. La ville est assez petite, et n’a rien par elle-même d’un peu considérable, qu’une rue longue et bien bâtie par laquelle nous entrâmes. La maison des Jésuites est la plus belle de toutes. J’y entrai, n’étant pas naturel, après avoir fait ma visite au domicile de la Cadière, que ma politesse ne s’étendît sur celui du P. Girard.

La ville a un petit cours et beaucoup de fontaines. Ces deux choses lui sont communes avec toutes les villes ou bourgades de Provence, qui pour cela n’en sont pas moins puantes. Là, le passage est toujours extrême des jardins aux rochers arides et de la m…. aux bergamottes.

Il ne faut pas manquer à Toulon de voir le beau balcon du Puget, qui fît tenir au cavalier Bernin ce discours si honorable à l’artiste françois : « Qu’il n’étoit pas besoin d’envoyer chercher des artistes en Italie, quand on avoit des gens chez soi capables de faire de si belles choses. » Ce balcon est soutenu par trois figures représentées d’une manière grotesque, dont les têtes sont celles des trois consuls de Toulon, dont le sculpteur était mécontent.

M. de Marnézia nous donna un homme pour nous faire voir le port et la rade ; l’un et l’autre sont des plus beaux qu’il y ait en Europe. Le port est moins grand que celui de Marseille, mais tout creusé de main d’homme, de façon que les plus gros bâtiments peuvent aborder aux murs des quais. Il est fermé par une longue et magnifique jetée, tout le long de laquelle sont bâtis les magasins du roi pour la marine, qui forment une façade admirable. Ce port est divisé en deux parties : l’une pour les vaisseaux marchands, l’autre pour les vaisseaux du roi, qui sont rangés tout le long. Nous entrâmes dans l’un d’eux appelé l’Espérance. Figurez-vous un grand corps de logis à quatre étages, capable de loger huit cents hommes, avec des provisions et de l’artillerie à l’avenant. Ma foi ! c’est une belle machine ; mais, comme il en est de celle-ci comme d’une autre belle machine que vous savez, dont on ne saurait faire l’éloge que faiblement, je n’en parlerai pas davantage.