Page:Charles de Brosses - Lettres familières écrites d’Italie - ed Poulet-Malassis 1858.djvu/67

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côté de l’épître près de l’autel, et le Doge, son trône et son dais de l’autre côté, près de la nef. Le Doge ne marche point sans un écuyer qui lui donne la main. Les chanoines étoient en soutanes violettes et en rochets. La messe fut chantée par de vilaines voix de castrats, en assez méchante musique, sauf les chœurs et les ritournelles. Ce qui me plut davantage, ce fut un abbé à talons rouges et un éventail à la main, qui pendant la communion joua supérieurement de la serinette.

Avant de quitter l’article des sénateurs, je veux vous dire que les élections des magistrats se font toutes par le sort ; on met tous les noms des nobles dans une boîte dont on en tire un au hasard. Ce qu’il y a de particulier, c’est qu’on n’en ôte jamais ; de sorte qu’on tirera cent noms de gens morts depuis longtemps avant que d’arriver à un vivant ; mais, ce qui est plus original encore, c’est qu’on a imaginé de faire, par toute l’Italie, de ce tirage un jeu de biribi. Chaque ponte met sur un nom ou sur plusieurs ; je ne puis pas bien vous dire le détail du reste. Ce jeu se joue prodigieusement gros. La banque, qui est tenue par une compagnie formée pour cela, est de plusieurs millions. Malgré le désavantage extraordinaire qu’ont les pontes, la banque perdit dix mille louis au dernier tirage.

Je joins ici une lettre pour notre ami Quintin, contenant un mémoire des principaux objets de curiosité que j’ai remarqué à Gênes ; j’y joins un catalogue de tableaux, en faveur du goût dominant que nous avons pour la peinture, M. le procureur-général et moi. Pour vous, mon gros Blancey, je n’ai garde de vous retenir si longtemps dans les églises ; ce serait un tour de force trop violent pour votre petite dévotion : allons, venez faire un tour avec moi à la comédie, cela n’est pas cher ; les premières places sont à 22 sous, encore ne sont-elles pas trop remplies, hors les dimanches. Les comédiens sont bons ; mais il n’est pas possible de s’imaginer à quel point les pièces qu’ils jouent sont misérables, surtout les tragédies[1]. J’ai commencé à goûter ici les plaisirs de la musique ita-


  1. On ne joue plus de tragédies. L’opéra seul attire le public au théâtre Carlo Felice.