Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/162

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la suffoquer ; mais, de peur que je n’appelasse du secours, de peur de n’être plus seule avec moi, elle me promit de faire tous ses efforts pour se calmer, et à la fin elle réussit. Depuis ce moment, Caliste ne fut plus la même ; inquiète quand elle ne me voyait pas, frémissant quand je la quittais, comme si elle eût craint de ne me jamais revoir ; transportée de joie en me revoyant ; craignant toujours de me déplaire, et pleurant de plaisir quand quelque chose de sa part m’avait plu, elle fut quelquefois bien plus aimable, plus attendrissante, plus ravissante qu’elle n’avait encore été ; mais elle perdit cette sérénité, cette égalité, cet à-propos dans toutes ses actions qui auparavant ne la quittait pas, et qui l’avait si fort distinguée. Elle cherchait bien à faire les mêmes choses, et c’étaient bien en effet les mêmes choses qu’elle faisait ; mais, faites tantôt avec distraction, tantôt avec passion, tantôt avec ennui, toujours beaucoup mieux ou moins bien qu’auparavant, elles ne produisaient plus le même effet sur elle ni sur les autres. Ah ciel ! Combien je la voyais tourmentée et combattue ! émue de mes moindres caresses qu’elle cherchait plutôt qu’elle ne les évitait, et toujours en garde contre son émotion, m’attirant par une sorte de politique, et, de peur que je ne lui échappasse tout-à-fait, se reprochant de m’avoir attiré, et me repoussant doucement, fâchée le moment d’après de m’avoir repoussé ; l’effroi et la tendresse, la passion et la retenue se succédaient dans ses mouvements et dans ses regards avec tant de rapidité, qu’on croyait les y voir ensemble. Et moi, tour à tour embrasé et glacé, irrité, charmé, attendri, le dépit, l’admiration, la pitié, m’émouvant tour à tour, me laissaient dans un trouble inconcevable. — Finissons, lui dis-je un jour, transporté à la fois d’amour et de colère en fermant sa porte à la clef, et l’emportant de devant son clavecin. — Vous ne me ferez pas violence, me dit-elle doucement, car vous êtes le maître. Cette voix, ce dis-