Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/163

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cours m’ôtèrent tout mon emportement, et je ne pus plus que l’asseoir doucement sur mes genoux, appuyer sa tête contre mon épaule, et mouiller de larmes ses belles mains en lui demandant mille fois pardon ; et elle me remercia autant de fois d’une manière qui me prouva combien elle avait réellement eu peur ; et pourtant elle m’aimait passionnément et souffrait autant que moi, et pourtant elle aurait voulu être ma maîtresse. Un jour je lui dis : vous ne pouvez vous résoudre à vous donner, et vous voudriez vous être donnée. — Cela est vrai, dit-elle. Et cet aveu ne me fit rien obtenir ni même rien entreprendre. Ne croyez pourtant pas, madame, que tous nos moments fussent cruels, et que notre situation n’eût encore des charmes ; elle en avait qu’elle tirait de sa bizarrerie même et de nos privations. Les plus petites marques d’amour conservèrent leur prix. Jamais nous ne nous rendîmes qu’avec transport le plus léger service. En demander un était le moyen d’expier une offense, de faire oublier une querelle ; nous y avions toujours recours, et ce ne fut jamais inutilement. Ses caresses, à la vérité, me faisaient plus de peur que de plaisir, mais la familiarité qu’il y avait entre nous était délicieuse pour l’un et pour l’autre. Traité quelquefois comme un frère, ou plutôt comme une sœur, cette faveur m’était précieuse et chère.

Caliste devint sujette, et cela ne vous surprendra pas, à des insomnies cruelles. Je m’opposai à ce qu’elle prît des remèdes qui eussent pu déranger entièrement sa santé, et je voulus que tour à tour sa femme de chambre et moi nous lui procurassions le sommeil en lui faisant quelque lecture. Quand nous la voyions endormie, moi, tout aussi scrupuleusement que Fanny, je me retirais le plus doucement possible, et le lendemain, pour récompense, j’avais la permission de me coucher à ses pieds, ayant pour chevet ses genoux, et de m’y endormir quand je le pouvais. Une nuit je m’endormis en lisant à côté de son lit,