Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/230

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour un précepteur suisse, c’est que sa sympathie pour le Saint-Preux l’emporta.

Mais, laissant ces minces détails, nous introduirons sans plus tarder le personnage principal. La situation est celle-ci : Madame de Charrière, auteur célèbre de Caliste, et qui ne doit pas avoir moins de quarante-cinq ans, est venue passer quelque temps à Paris dans la famille de M. Necker, ou du moins dans le voisinage. Benjamin Constant y est venu de son côté ; à ce moment, l’assemblée des notables, les conflits avec le parlement, excitent un vif intérêt ; la curiosité universelle est enjeu, et celle du nouvel arrivant n’est pas en reste. Il voit le monde de madame Suard, il suit les cours de La Harpe au Lycée, il dîne avec Laclos. Cette vie oisive et sans but déplaît au père de Benjamin : il veut que son fils, qui aura dans quelques mois ses vingt ans accomplis, embrasse un état ; il lui enjoint de quitter Paris et de venir le retrouver sur-le-champ dans sa garnison de Bois-le-Duc[1], où le jeune homme sera sommé de choisir entre la robe ou l’épée, entre la diplomatie ou la finance. Voici quelques unes des premières lettres, où le caractère éclate tel qu’il sera toute la vie. Quant au style, il est ce qu’il peut, il n’est pas formé encore, mais l’esprit va son train tout au travers. Nous ne faisons qu’extraire le travail de M. Gaullieur, et y emprunter notes et éclaircissements.


Douvres, ce 26 juin 1787.

« Il y a dans le monde, sans que le monde s’en doute, un grave auteur allemand qui observe avec beaucoup de sagesse, à l’occasion d’une gouttière qu’un soldat fondit pour en faire des balles, que l’ouvrier qui l’avait posée ne

  1. Le père de Benjamin Constant était au service des États-Généraux de Hollande.