Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/257

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« Madame,

« Je partis hier de Lausanne pour venir vous faire mes adieux ; mais je suis si malade, si mal fagoté, si triste et si laid, que je vous conseille de ne pas me recevoir[1]. L’échauffement, l’ennui, et l’affaiblissement que mon séjour à Paris a laissé dans toute ma machine, après m’avoir tourmenté de temps en temps, se sont fixés dans ma tête et dans ma gorge. Un mal de tête affreux m’empêche de me coiffer ; un rhume m’empêche de parler ; une dartre qui s’est répandue sur mon visage me fait beaucoup souffrir et ne m’embellit pas. Je suis indigne de vous voir, et je crois qu’il vaut mieux m’en tenir à vous assurer de loin de mon respect, de mon attachement et de mes regrets. La sotte aventure dont vous parlez dans votre dernière lettre m’a forcé à des courses et causé des insomnies et des inquiétudes qui m’ont enflammé le sang. Un voyage de deux cent et tant de lieues ne me remettra pas, mais il m’achèvera, c’est la même chose. Je vous fais des adieux, et des adieux éternels. Demain, arrivé à Berne, j’enverrai à M. de Charrière un billet pour les 50 louis que mon père a promis de payer dans les commencements de l’année prochaine, avec les intérêts au 5 p. 0/0. Je le supplie de les accepter, non pour lui, mais pour moi. En les acceptant, ce sera me prouver qu’il n’est pas mécontent de mes procédés ; en les refusant, ce serait me traiter comme un enfant ou pis.

« Si vous avez pourtant beaucoup de taffetas d’Angleterre pour cacher la moitié de mon visage, je paraîtrai. Sinon, madame. adieu, ne m’oubliez pas. »


Il obtint assurément la permission de paraître, et sans taffetas d’Angleterre encore. Le lendemain il était définitivement en route, et à chaque station il écrivait.

  1. C’est ainsi qu’on parle quand on est sûr d’être reçu.