Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/271

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produit un très bon effet, et ma lettre a été fort bien reçue. Les affaires de mon père vont très mal, à ce qu’il dit ; il est bien sûr que dans notre infâme et exécrable aristocratie, que Dieu confonde (je lui en saurais bien bon gré) ! on ne peut avoir longtemps raison contre les ours nos despotes. Je n’ai jamais douté que la haine et l’acharnement de tant de puissants misérables ne finît par perdre mon père. Si jamais je rencontre l’ours May, fils de l’âne May, hors de sa tanière, et dans un endroit tiers où je serai un homme et lui moins qu’un homme, je me promets bien que je le ferai repentir de ses ourseries. Ce n’est pas le tout de calomnier, il faut encore savoir tuer ceux qu’on calomnie[1].


Le 6.

« J’ai été hier d’office à une redoute où je me suis passablement ennuyé. Toute la cour y allait, il a bien fallu y aller. Pendant sept mortelles heures enveloppé dans mon domino, un masque sur le nez et un beau chapeau avec une belle cocarde sur la tête, je me suis assis, étendu, chauffé, promené. « Vous ne tanze pas, mon sieur le baron ? — Non, madame. — Der Herr Kammerjunker danzen nicht[2]. — Nein, Eure Excellenz. — Votre Altesse sérénissime a beaucoup dansé. " — Votre Altesse sérénissinie aime beaucoup la danse.

  1. Benjamin Constant prévoyait déjà les graves ennuis que son père allait rencontrer dans son service militaire. La jalousie des patriciens bernois contre les officiers du pays de Vaud, leurs sujets, les passe-droit et les vexations auxquelles ceux-ci étaient en butte, entrèrent pour beaucoup dans la révolution helvétique. — Les May étaient des patriciens bernois ; il y avait le régiment de May, dont un May de Buren était colonel, et le père de Benjamin Constant lieutenant-colonel. — L’ours, on le sait, figure dans les armes de Berne.
  2. « Monsieur le chambellan ne danse pas ? — Non, votre Excellence. »