Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/279

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près de vous, vous n’en seriez pas quitte à si bon marché, et il y a, outre cette hérésie absurde, bien d’autres choses qui mériteraient un châtiment exemplaire. Vous êtes comme mon oncle, dont j’ai reçu, en même temps que votre lettre, une lettre bien aigre-douce, bien ironique, bien sentimentale, à laquelle j’ai répondu par une lettre de deux pages très sérieuse, très honnête et très propre à me mettre avec lui sur le pied décent et poli, qui convient entre des gens qui ne s’aiment qu’à leur corps défendant, pour ne pas être ou ne pas paraître, l’un insensible et un peu ingrat, l’autre entraîné par son humeur acariâtre ; — vous êtes, dis-je, comme mon oncle. Il ne veut jamais croire que je l’aime : j’ai eu beau, pendant deux grands mois, le lui dire de la manière la moins naturelle et la plus empruntée deux fois par jour, il n’en veut rien croire. Vous venez me faire semblant de croire que votre manière d’écrire m’ennuie. Vous et mon oncle, mon oncle et vous, vous mériteriez que je vous répondisse : Vous avez raison. Ce qui me fâche le plus, c’est que je crois que c’est par air. D’abord, quant à mon oncle, j’en suis très siir. Il fait des phrases sur mon insensibilité. Vous avez la bonté, me dit-il, de me faire des remercîments et des compliments : ce n’était pas ce que je souhaitais de vous ; nous aurions bien voulu pouvoir vous inspirer un peu d’amitié, parce que nous en avons beaucoup pour vous ; mais vous n’êtes point obligé de nous la rendre ; tout de même, nous vous aimerons parce que vous êtes aimable ; tout de même, nous nous intéresserons tendrement à vous parce que vous êtes intéressant ; je suis seulement fâché que vous vous soyez cru obligé de nous faire des remercîments ; vous vous êtes donné là un moment d’ennui qui aura ajouté à votre fatigue ; vous aurez maudit les parents et l’opinion des devoirs ; je vous prie de ne pas nous en rendre responsables ; nous sommes bien loin d’exiger et d’attendre rien. Avouez que