Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/286

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« … J’ai repris mes petits Grecs qui grossissent à vue d’œil. Quand ils seront arrivés à grandeur naturelle, je les envoie dans le monde to shift for themselves. J’ai tout plein de ressources ; mais, comme je vous le disais vendredi, je n’en fais que peu d’usage. Suivant votre conseil, je compte prendre une heure avec un professeur ici pour relire tous mes classiques. C’est un plaisir de faire quelque chose d’utile que vous avez conseillé. Adieu, madame. Mille et mille choses à tous ceux qui veulent bien penser au diable blanc[1]. Le petit Jaman est superbe, voilà pour mademoiselle Louise. Les sapins de ce pays-ci sont tortus, petits et vilains : je ne conseille pas à mademoiselle Henriette d’envoyer jamais de traîneau en prendre ici. Adieu, madame. Barbet, le plus aimé qui fut jamais au monde, adieu. »


Le moment où Benjamin Constant peut réfuter avec une entière sincérité les petites méfiances de madame de Charrière et où il continue d’être pleinement sous le charme du souvenir est si court et si prompt à s’envoler, que nous donnerons encore quelques pages qui en sont la vive et bien affectueuse expression.


Brunswick, ce 19 mars 1788.

« Que béni soit l’instant où mon aimable Barbet est né ! Que béni soit celui où je l’ai connu ! Que bénie soit l’influence perfide qui m’a fait passer deux mois à Colombier et quinze jours chez M. de Leschaux[2] ! Le courrier qui arrive ordinairement le mardi n’est arrivé qu’aujourd’hui, et, en ne recevant point de lettres de vous hier, je m’étais résigné et j’attendais vendredi avec crainte et impatience. Jugez de mon plaisir quand, à mon réveil,

  1. C’était apparemment son sobriquet à Colombier.
  2. Ou Leschot ; c’était le docteur qui logeait à côté de Colombier.