Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/287

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mon fidèle de Crousaz[1] m’a présenté le petit Persée.

« Il y a un bien mauvais raisonnement dans cette lettre dont je vous remercie si vivement, et je ne sais si ce raisonnement ne mériterait pas que j’étouffasse ma reconnaissance. Dans quelques semaines, dans peu de jours peut-être, vous aurez des habitudes et des occupations avec lesquelles vous vous passerez très bien de ces fréquentes lettres. Qu’est-ce, s’il vous plaît, que cela veut dire ? Aussi longtemps que vous aurez des visites à faire, des devoirs de société à remplir, des terrains à sonder, des arrangements à prendre, vous aurez besoin de mes lettres, parce que vous n’aurez pas d’intérêt assez vif pour que vous m’oubliiez ; mais, quand vous aurez fait toutes vos visites, que vous n’aurez plus rien à faire, que votre curiosité, si vous en avez, sera rassasiée jusqu’au dégoût, que vous saurez d’avance ce qu’on vous dira, et que votre journée de demain sera la sœur et la jumelle la plus ressemblante de l’ennuyeuse journée d’aujourd’hui, oh ! alors je ne vous écrirai plus si souvent, parce que les vifs plaisirs de votre manière de vivre vous tiendront lieu de mon amitié. Barbet, Barbet, vous êtes bien aimable et je vous aime bien tendrement ; mais vous raisonnez bien mal, et vos raisonnements me font de la peine pour vous et pour moi.

« Dites-moi un peu, singulière et charmante personne, où tend cette modestie ? Croyez-vous réellement que j’aie tant de penchant à la confiance et à l’ingratitude qu’au bout de trois ou quatre semaines je me sois formé quelque douce habitude avec quelque fraulein allemande ou quelque hofdame qui me tienne lieu de vous et de votre amitié ? Croyez-vous que tant de douceur, de bonté, de charme, je ne puis exprimer autrement ce que vous avez pour moi, soit aisément remplacé et aisément oublié ? Croyez-

  1. Son domestique.