Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/295

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l’indélicatesse de l’accommodement, ou s’il n’a pas dans son fait une pointe de cruauté très française, comme de quelqu’un qui sait trop bien son Laclos.

On n’a pas les réponses de madame de Charrière, ou du moins nous n’en avons sous les yeux que quelques unes ; ces réponses existent pourtant, elles sont en d’autres mains. Qu’y verrait-on ? Nous ne croyons pas nous tromper ni même deviner trop au hasard, en affirmant que, sur un fonds d’indulgence et sous un air d’enjouement, des accents douloureux en sortiraient. Ces lettres, d’un ton parfaitement vrai, d’une impression profondément triste, seraient celles, à coup sûr, d’une femme qui parle avec un cœur généreux et froissé, d’une pauvre personne supérieure à qui l’esprit, la distinction, la sensibilité, n’ont été qu’un tourment de plus. Benjamin Constant semble lui-même reconnaître ce qu’elle souffre lorsque, dans cette lettre où il prodigue de si équivoques épanchements, il lui échappe de dire à propos des égards qui sont une triste manière de réparer : « Une cruelle expérience dont je suis bien fâché que vous soyez la victime m’a trop prouvé que des égards ne suffisent pas. » — Elle souffrait de bien des manières, elle manquait de secours et d’appui dans ses alentours, elle en venait à douter tout-à-fait d’ellemême : « Vous n’avez pas comme moi ces moments où je ne sais plus seulement si j’ai le sens commun, mais encore faudrait-il être connue et entendue ! » Et faisant allusion à ce qu’elle avait pu espérer d’être un moment pour lui, elle disait encore : « On ne veut pas seulement que quelqu’un s’imagine qu’il pouvait être aimé et heureux, nécessaire et suffisant à un seul de ses semblables. Cette illusion douce et innocente, on a toujours soin de la prévenir ou de la détruire. »

Certes madame de Charrière ne fut jamais pour Benjamin Constant une Ellénore ; elle n’en eut jamais la prétention, je crois ; son âge était trop disproportionné. Elle