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benjamin constant

A de certains moments, lui-même il se relève le mieux qu’il peut, il est tenté de s’améliorer, de croire à l’inspiration morale, il s’écrie (17 mai 1792) : « … Une longue et triste expérience m’a convaincu que le bien seul faisait du bien, et que les déviations ne faisaient que du mal, et je combats de toutes mes forces cette indifférence pour le vice et la vertu qui a été le résultat de mon étrange éducation et de ma plus étrange vie, et la cause de mes maux. Comme elle est opposée à mon caractère, je la vaincrai facilement. Je suis las d’être égoïste, de persifler mes propres sentiments, de me persuader à moi-même que je n’ai plus ni l’amour du bien ni la haine du mal. Puisqu’avec toute cette affectation d’expérience, de profondeur, de machiavélisme, d’apathie, je n’en suis pas plus heureux, au diable la gloire de la satiété ! je rouvre mon âme à toutes les impressions, je veux redevenir confiant, crédule, enthousiaste, et faire succéder à ma vieillesse prématurée, qui n’a fait que tout décolorer à mes yeux, une nouvelle jeunesse qui embellisse tout et me rende le bonheur. »


Ces reprises heureuses, ces secousses de printemps passent vite ; il retombe, et la fin de cette année 1792 ne nous le livre pas dans une disposition plus vivante, plus ranimée ; il continue de s’analyser en tous sens et de se dénoncer lui-même. Il se voit à la veille de l’arrêt de divorce, il est résolu à quitter Brunswick, il flotte entre vingt projets :

    parcourue depuis mon arrivée. Je vous abandonne leurs poëtes tragiques, comiques, lyriques, parce que je n’aime la poésie dans aucune langue ; mais, pour la philosophie et l’histoire, je les trouve infiniment supérieurs aux Français et aux Anglais. Ils sont plus instruits, plus impartiaux, plus exacts, un peu trop diffus, mais presque toujours justes, vrais, courageux et modérés. Vous sentez que je ne parle que des écrivains de la première classe. » Mais ce qui est plus vrai que tout, c’est qu’il n’aime la poésie en aucune langue.