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NOTICE.

mettre près de Henri, l’amant de Joséphine, elle semble moins sensible qu’elle ne devrait à la peine de celle-ci, elle se le reproche bientôt ; la crainte de quelque malheur s’y mêle, et elle se laisse aller avec sa chère coupable à son mouvement généreux : « Oh bien ! dit Joséphine, je ne me tuerai pas, je ne voudrais pas contrarier vos idées ; rendez-moi un peu de bonheur et je ne me tuerai pas. Déjà cette conversation me fait quelque bien ; mais j’étais au désespoir quand je vous voyais tout occupée de vous et d’un certain mérite que vous voulez avoir, et avec lequel vous laisseriez tranquillement souffrir tout le monde… »

Ainsi encore, quand Émilie, sur l’aveu de madame de Vaucourt que ses biens avaient été mal acquis, cherche à lui donner des scrupules, celle-ci, après une justification de son motif, ajoute en souriant : « Cependant permettez-moi de vous dire que l’on pourrait vous chicaner à votre tour sur bien des choses que vous trouvez toutes simples, et cela parce qu’elles vous conviennent et que vos principes s’y sont pliés peu à peu. — Que voulez-vous dire ? s’écria Émilie. — Ne voyez-vous pas, dit Constance, qu’au château vous séduisez Théobald, inquiétez sa mère, et désolez sa cousine ?… »


« Ce que Constance venait de faire éprouver à Emilie ressemblait si fort à ce que Joséphine lui avait fait éprouver il y avait environ trois mois, qu’elle se trouva dans la même souffrance, et que ses réflexions furent à peu près les mêmes. L’une avait des amants auxquels elle ne voulait pas renoncer, l’autre possédait un bien mal acquis qu’elle ne voulait pas rendre. L’une et l’autre lui étaient chères, l’une et l’autre lui étaient utiles, l’une et l’autre avaient mêlé le blâme aux aveux, le reproche à la justification. Aux yeux de l’une ni de l’autre, elle n’était parfaitement innocente, elle qui s’était crue en droit de juger, de censurer, de montrer presque du mépris… »