mais encore des especes, et de toutes choses spirituelles et divines, ausquelles la veue sert plustost de
destourbier
[1] que d’ayde ; dont y a eu non seulement
plusieurs aveugles grands et sçavans, mais
d’autres encore qui se sont privez de veue à
escient, pour mieux philosopher, et nul jamais
de sourd. C’est par où l’on entre en la
forteresse, et s’en rend-on maistre ; l’on ploye
l’esprit en bien ou en mal, tesmoin la femme
du roi Agamemnon, qui fut contenue au devoir
de chasteté au son de la harpe
[2], et David qui, par mesme moyen, chassoit le mauvais esprit de Saül, et le remettoit en santé, et
le joueur de fleutes, qui amollissoit et roidissoit
la voix de ce grand orateur Gracchus.
Bref la science, la verité et la vertu, n’ont
point d’autre entremise ny d’entrée en l’ame,
que l’ouye : voire la chrestienté enseigne que
la foy et le salut est par l’ouye, et que la
veuë y nuict plus qu’elle n’y ayde ; que la foy
est la creance des choses qui ne se voyent ;
laquelle est acquise par l’ouye : et elle appelle
ses apprentifs et novices auditeurs
[3] κατεχουμενη.
Encore adjousteray-je ce mot, que
l’ouye apporte un grand secours aux tenebres
et aux
endor-
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LIVRE I, CHAPITRE XII.