l'opinion, qui est un vain et leger, crud et imparfaict jugement des choses, tiré et puisé des sens exterieurs, et du bruict commun et vulgaire, s’arrestant et
tenant bon en l’imagination, et n’arrivant jamais
jusques à l’entendement, pour y estre examiné,
cuict et elabouré, et en estre faict raison,
qui est un vray, entier et solide jugement des
choses : dont elle est inconstante, incertaine,
volage, trompeuse, un très mauvais et dangereux
guide, et qui faict teste à la raison, de laquelle
elle est une ombre et image, mais vaine
et faulse : elle est mere de tous maux, confusions,
desordres : d’elle viennent toutes passions
et les troubles ; c’est le guide des fols,
des sots, du vulgaire, comme la raison des
sages et habiles.
Ce n’est pas la verité ni le naturel des choses qui nous remue et agite ainsi l’ame, c’est l’opinion, selon un dire ancien : les hommes sont tourmentés par les opinions qu’ils ont des choses, non par les choses mesmes : opnione sæpius quam re laboramus : plura sunt quæ nos tenent quam quæ premunt [1]. La verité et l’estre des choses n’entre ny ne loge chez nous de soy-mesme, de sa propre force et authorité : s’il estoit ainsi, toutes choses seroient reçeues de tous, toutes pareilles
- ↑ « Nous sommes tourmentés plus souvent par l'opinion, que par la chose même ; il y a plus de choses qui nous occupent et nous inquiétent, qu'il n'y en a qui nous oppriment réellement ».