Page:Chassignet - Le mespris de la vie et consolation contre la mort, 1594.djvu/30

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V.


Assies toy sur le bort d’une ondante riviere
Tu la verras fluer d’un perpetuel cours,
Et flots sur flots roulant en mille & mille tours
Descharger par les préz son humide carriere.

Mais tu ne verras rien de ceste onde premiere
Qui n’aguiere couloit, l’eau change tous les jours,
Tous les jours elle passe, & la nommons tousjours
Mesme fleuve, & mesme eau, d’une mesme maniere.

Ainsi l’homme varie, & ne sera demain
Telle comme aujour-d’huy du pauvre cors humain
La force que le tems abbrevie, & consomme :

Le nom sans varier nous suit jusqu’au trespas,
Et combien qu’au jour-d’huy celuy ne sois je pas
Qui vivois hier passé, tousjours mesme on me nomme.


VI.

Ce qui semble perir se change seulement
L’Esté est il passé ? l’an suivant le rameine
Voit on noircir la nuit ? la lumiere prochaine
Redore incontinant l’azur du firmament :

Le rayonnant Soleil d’un pareil mouvement
Par l’escharpe du ciel tous les jours se promeine
Et suivant du Seigneur l’Ordonnance certaine
Tout remonte à son tour, & tombe incessament :

Mesme la froide mort qui si fort nous estonne
Ne ravit point la vie, ains seulement nous donne
Tant soit peu de respit pour le tems avenir.

Doncques ne craignons plus de faire ce voyage,
Celuy la doit sortir d’un asseuré visage
Qui s’en va en espoir de soudain revenir.