Page:Chassignet - Le mespris de la vie et consolation contre la mort, 1594.djvu/31

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VII.


Nous faisons de ce fresle, & variable cors
Comme les vieus manants qui par un long usage
Devenus habitants de quelque beau village
S’y tiennent au milieu de mille & mille torts.

Mille especes d’ennuis, mille traits de remorts
Precipitant sur nous l’aigreur de leur outrage
Ne nous peuvent induire à franchir le passage
Qui seul de tant de maus emousse les efforts.

Veus tu, pauvre mortel, sans peine & sans encombre
Vivre en depit du cors, habite ce cors sombre
Comme prest d’en sortir au mandement divin.

La mort te sera lors heureuse & fortunee,
Mais comme pensera à la fin destinee
Celuy qui tout convoite, & desire sans fin ?


VIII.


La calme meinte-fois fort longuement arreste
Les matelots en mer, au contraire le vent
Halenant à souhait les ameine souvent
Au port avant le tems libre de la tempeste.

Ainsi la vie humaine à la haste nous jette
Au lieu où peu à peu nous allions arrivant,
Quelquefois plus long tems elle nous va suivant
Et sur un long chemin nous tourmente et nous guette.

Si faut-il une fois pour vivre en liberté
Dans le port de la mort arriver en seurté,
Où quiconque surgit au plus vert de son age

Ne doit non plus gemir que les sages nochers
Qui parmy les hasards des flots et des rochers
Ont tost parachevé le cour de leur voyage.