Quant bien un homme droit condamné par la rage
Des calomniateurs sur l'eschaffaut sanglant
Verroit choir sur son col le coutelas tremblant,
Joüant devant le monde un triste personnage :
N'estime pour autant d'un jugement peu sage
Son deces mal-heureus : tel dans un lit branslant
Va l'ame entre les siens doucement exalant,
Qui porte l'infamie emprainte en son courage.
L'on ne doit reputer, tant soit-il desastreus
Au moins en apparence, autre que bien-heureus
Le trespas qui succede à la vie honorable :
De quelque mort que soit le juste prevenu
En liesse et repos il est entretenu,
Mais tousjours le meschant vit et meurt miserable.
Ou court ce pauvre ver qui travaille & tracasse
Ignorant de sa fin, las ! comme les poissons
Sont surpris aus appas des trompeurs hamecons,
Et les simples oiseaus aus neus de la filace :
Ainsi les hommes vains, bouffis de folle audace
Au tems d'averssitez seront en cent facons
Captivez de la mort, qui dedans ses lacons
Quant ils y pensent moins, les poursuit & dechasse
Neant-moins recourant au sorcier imposteur
Ils taschent maugré DIEU d'entendre le futur,
Pour scavoir de leurs jours la fin determinee.
Aveugle mal-heureus s'il ne connoissent pas
Ces pervers enchanteurs, l'heure de leur trespas
Comme t'apprendront il ta fin predestinee ?