Page:Chassignet - Le mespris de la vie et consolation contre la mort, 1594.djvu/33

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XI.


Le jeune homme mourant au joueur est semblable
Qui pert le dé glissant eschappé de sa main,
Il estoit de la perte aussi pres que du gain,
Incertain s'il eust heu la chance favorable :

Mais si nous comparons à nostre àge peu stable
L'infinité du tems, nous treuverons soudain
Que le mol enfancon qui doit naistre demain
Seroit au froid viellard en àge comparable.

Nostre vie est un point qui se doit mesurer
Non pas selon le tems quelle pourroit durer,
Mais selon son effect vicieus ou louable.

Voilà comme, ô mortel, il n'importe combien
Tu vive ou peu ou trop, mais que tu vives bien,
Mais las ? à vivre bien trop vivre est dommageable.


XII.


Considere du tems la grande agilité,
Et nostre peu de vie, observe moy la suite
Ou tout le genre humain s'elance & precipite
Tendant à mesme lieu à chacun limité :

Celuy que tu pensois loing du but rejetté
En est proche voisin, la palle mort invite
Tout le monde à sa fin, & n'est rien de si viste
Qui par elle ne soit en la fosse arresté :

Un seul medicament sert à tous de remede
L'un meurt, & l'autre nait, l'un suit, l'autre precede
Mais tous egalement courent mesme chemin :

Et dautant que la vie à la mort nous dispose,
Le naistre & le mourir est une mesme chose,
L'esprit seul immortel n'a ny terme ni fin.