Page:Chassignet - Le mespris de la vie et consolation contre la mort, 1594.djvu/347

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CCCLXXXVII.


Le tems ne bouge point & jamais ne repose,
La vie instable fuit & ne chemine pas
Fortune escrime & bat sans remuer les bras
Le monde nous despesche & n’en scavons la cause

L’amis avec l’amis se trompe à levre close,
La chair sans le sentir consomme nos esbas
Languissant sans secours le ceur chet au trespas
Et la nuit à nos yeus effroyable s’oppose

La memoire de nous comme neige deffaut,
Nostre gloire se passe & la mort nous assaut
Entrant en la maison sans buquer a la porte.

Il n’est pas ordonné que nous vivions tousjours
Incontinant fanit le plus verd de nos jours
Par l’hyver rigoureus que la viellesse apporte.


CCCLXXXVIII.


Pouvant dessus le pont marcher en asseurance
Nous passons par le guet, & si le guet est seur
Nous nous avanturons au gouffre ravisseur
Sillant nostre raison d'un voile d'ignorance

Estant le sentier sec, le peu d'experience
Nous fait prendre chemin parmi la puanteur
Des lieus plus infectez de bourbeuse senteur
Ou souvent les courriers tombent en defaillance

Nous pouvans bien garder, Fauche, nous nous plaisons
De nous perdre & damner, nous cherchons les poisons
Pour avancer nos jours pouvant vivre en delices

Bref nous sommes si fols que tousjours nous tirons
Dans le blanc des vertus auquel nous aspirons
Et donnons sans cesser dans la butte des vices.