Page:Chassignet - Le mespris de la vie et consolation contre la mort, 1594.djvu/46

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XXXVII.


Je ne crains point, dis tu, de rompre le lien
De ce fragile cors, mais que jeune je meure
Sans avoir profitté en doctrine meilleure
Avant que de mourir, cause le regret mien.

Celuy-la qui t'a mis en besougne, scait bien
Et jusques à quel jour, & jusques à quelle heure
Il faut qu'en la boutique au travail tu demeure,
T'y laissant plus long tems, tu n'y gaignerois rien :

Que s'il te veut payer d'une seule corvee,
De plus de la moitié non encore achevee
Autant comme pour deus, tu l'en dois honorer :

Une longeur de vie aussi bien tu demandes
Afin qu'en fol plaisir sans fruit tu la despendes,
Prodigue à l'employer, chiche à la desirer.


XXXVIII.


Si tu meurs en jeunesse, autant as tu gousté
D'amour, et de douceur durant ce peu d'espace,
Que si de deus cens ans tu par-faisois la trace,
Nul plaisir est nouveau sous le ciel revouté :

Pour boire plusieurs fois le ventre degousté
N'en est de rien plus soul, la corruptible masse
De ce cors que tu traine, est semblable à la tasse
Qui ne retient pas l'eau que l'on luy a jetté.

Partant soit tost ou tard que le trait de la Parque
Du nombre des vivans au tombeau te demarque,
N'abandonne à regret le monde despourveu :

Tu vois tout en un an et ce que l'influence
Des saisons, et des tems plusieurs siecles avance,
N'est rien que le retour de ce que tu as veu.