Page:Chassignet - Le mespris de la vie et consolation contre la mort, 1594.djvu/47

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

XXXIX.


Contre terre accroupis nous resserrons les ailes
Tant s'en faut que l'esprit le guinde vers les cyeus
Qui ne se peut tirer de ces terrestres lieus
Aggravés sous le pois des charges corporelles :

Nous avons bien des yeus, mais les tayes cruelles
Retiennent leur clarté, comme les hommes vieus
Nous voyons par le voirre, helas, mais de tels yeus
Nous trompent meintefois les debiles prunelles :

Nous voyons, mais par songe, & tel songe menteur
Nous fait voir seulement un mensonge flatteur,
Qui laisse de raison nostre ame despourveue ;

La seule mort nous peut rendre les yeus plus fors
Nous redonnant la vie, & pensons mal accors
Quelle nous vienne oster & la vie & le veue.


XL.


Notre vie est semblable à la lampe enfumee,
Aux uns le vent la fait couler soudainement,
Aux autres il l'esteint d'un subit soufflement
Quand elle est seulement à demi allumee ;

Aux autres elle luit jusqu'au bout consumee,
Mais en fin sa clarté cause son bruslement,
Plus longuement elle art, plus se va consumant,
Et sa faible lueur ressemble à sa fumee ;

Mesme son dernier feu, est son dernier cotton
Et sa derniere humeur, que le trespas glouton
Par divers intervalle ou tost, ou tard consume :

Ainsi naistre & mourir aus hommes ce n'est qu'un,
Et le flambeau vital, qui tout le monde allume,
Ou plustost ou plus tard, s'esloigne d'un chacun.