Page:Chassignet - Le mespris de la vie et consolation contre la mort, 1594.djvu/60

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LXV.


L’enfance incontinant meurt devant la jeunesse,
L’adolescence fait la jeunesse mourir,
La virilité fait au monument courir
L’àge d’adolescence, où l’amour nous oppresse,

La virilité cede à la morne vieillesse,
La mort fait le surjon de vieillesse tarir,
Le jour du lendemain, le jour-d'huy fait perir,
Tant la fuitte du tems et la suite se presse.

Que souhaittons nous donc, de nos jours perissans
Le trespas importun, poussans et repoussans
Nostre àge de l’espaule ? hommes peu sociables,

Nous courons du present vers le tems à venir
Et, roulant en nos ceurs comme monceaus de sables,
Ne pouvons en lieu seur seurement nous tenir.


LXVI.


Celuy quiconqu’a beu à tasse regorgeante
Les faus plaisirs du monde, au lever du festin
El est comme un yvrogne estourdi le matin,
Ou bien si degousté que le goust le tourmente,

Ou tellement matté que sa bouche puante
N'y veut plus retourner ; s'il resiste, mutin
A l'instinct de la chair, il se donne au butin
D'un duel hasardeus, qui jour & nuit le tente :

En fin il est si las de ce choc assidu
Qu'ou bien il est tout prest d'estre bien tost rendu
Ou contraint de mourir s'abandonnant soy-mesme :

Voila quel est l'estat de l'homme mal-accort
Entre ces deux chemins, qui plus prise & mieus aime
Les dangers de la mer, que la seurté du port.