Page:Chassignet - Le mespris de la vie et consolation contre la mort, 1594.djvu/65

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LXXV.


Chacun à qui mieus mieus precipite sa vie,
Chacun est travaillé du désir du futur,
Chacun tient le present importun, & menteur
Accomodant sa vie, au despend de sa vie

Qui donne tout le tems de sa vie à sa vie
Ne treuve le present importun, ny menteur
Il ne souhaite point, ny ne craint le futur,
Se promettant en vain une bien longue vie.

Mais las ; quelqu'occupé que tout le monde foit
Le tems fuit, la mort fuit, & la fosse recoit
Nos corruptibles cors abandonnez de l'ame :

Fait ce que tu voudras, il faut quoy que ce soit
Que tu sois de loisir, quand la mort te recoit
L'excuse ny vaut rien, quand il faut rendre l'ame.


LXXVI.


La perte de nos jours qui plus grande se face
Procede du delay nous arrachant tousjours,
Sous l'espoir du futur, le plus beau de nos jours
En rendant du jour-d'huy la jouyssance basse :

Ce qui plus de travail, & d'empesche nous brasse
Pour amender sa vie, et d'attendre secours
Du douteus avenir, & mettre son secours
Au jour du l'endemain, qui le present efface.

Voila pourquoy je dis, & tiens que les humains
Ont bien peu de raison, de lascher de leurs mains
Ce qu'ils tiennent ferrez, pour mettre leur estude

A disposer des biens du fort aventureus
Ne considéerant pas, aveugle mal-heureus,
Que la chose à venir gist en l'incertitude.