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On forme le contrôle et chacun se hâte de se faire inscrire, craignant que la liste ne soit close avant son tour. Nous étions 101.

Nous fûmes prévenus de sortir deux par deux ; je pris pour compagnon de voyage le citoyen Barre. J’ai dit que je ne voulais citer personne, mais le sentiment qui m’anime servira d’excuse à cette infraction.

Membre de l’ancien comité exécutif, candidat aux dernières élections municipales, le citoyen Barre avait dû son arrestation à l’animadversion de la police ; il a été rendu à la liberté huit jours après moi.

J’avais beaucoup entendu parler de lui, mais je ne le connaissais pas ; je me félicite d’avoir fait sa connaissance. J’ai été à même de l’étudier pendant notre captivité, et je puis assurer que c’est un noble cœur, un homme aux idées grandes et généreuses, dont le prolétariat peut s’honorer.

Nous avons sympathisé complètement par communauté de pensées. Barre est républicain dévoué, mais nullement démagogue ; il est du nombre malheureusement trop restreint, mais grandissant chaque jour, des républicains qui veulent l’alliance intime de la démocratie et des principes religieux. Ouvrier lui-même, il comprend les souffrances des travailleurs, mais il ne cherche pas le remède dans un socialisme trompeur ; il a foi au symbole révolutionnaire : Liberté ! Égalité ! Fraternité ! et ce symbole lui suffit.

Nous nous mîmes donc en marche, entourés des soldats du 49e de ligne et d’une nuée d’agents de police, précédés et suivis de détachements de hussards. Certains agents excitaient les soldats contre nous ; presque tous étaient malhonnêtes à notre égard.

Où allions-nous ? On n’avait eu garde de nous le dire.

La première rue que nous traversâmes était la rue Lafont, donc nous n’allions pas à la prison de Roanne, mais notre destination était-elle pour St-Joseph ou ailleurs ? Ce ne fut qu’en atteignant la tête du pont de la Guillotière que nous comprimes que nous étions transférés dans un des forts de la rive gauche du Rhône.

Les quais étaient littéralement couverts de monde ; et c’est à grand peine que, malgré leur brutalité et leurs injures, les agents de police parvenaient à éloigner la foule.

Ce transfert en plein jour rassura et alarma à la fois la population ; il avait, au demeurant, quelque chose de sinistre, et les transferts suivants n’ont eu lieu que la nuit.

Notre préoccupation était de savoir comment nous allions être traités, et il faut avouer que le hasard nous a merveilleusement servi, car j’ai appris que les prisonniers des autres forts n’avaient pas eu les mêmes avantages que nous. À plus forte raison ne par-