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Monsieur Galerne[1] disait bien : retenez, retenez toujours ; cet homme dissimule, il doit y avoir quelque chose, puisqu’on l’a arrêté… Voyez cette barbe ! Oh ! cette figure me déplaît ![2].

La justice écoute la police, mais ne la croit pas toujours ; elle veut, pour condamner un homme, autre chose qu’un regard de travers en passant sur la place publique, autre chose qu’un éternuement irrévérencieux devant une affiche de l’autorité ; la justice, disons-nous, haussait les épaules au grand scandale des Villeneuve et autres pourvoyeurs de la cave, et renvoyait les prévenus, même sans interrogatoire, sur le vu des dossiers veufs quelquefois de procès-verbaux.

Quant à moi, il ne faut pas oublier que je suis un homme dangereux, et puisque j’ai été appelé à répondre de mes faits et gestes devant la justice, sur la dénonciation de M. Villeneuve, j’accomplis un acte parfaitement légal en reproduisant, autant qu’il m’en souvient, mon interrogatoire.

Demande. Avez-vous déjà été arrêté ?

Réponse. Jamais. Je suis homme de plume et nullement d’action ; je pourrais m’en glorifier aujourd’hui mais ce serait un mensonge ; je n’ai pas plus coopéré à la révolution de 1830 qu’à celle de 1848, à l’insurrection de 1834 qu’à celle du 15 juin 1849. Je n’ai jamais appartenu à aucune société secrète, parce que je ne les crois pas bonnes. J’ai appartenu à la loge de la Bienveillance, fondée par des Misraimites, mais c’était une société maçonnique autorisée ; j’ai fait partie du groupe phalanstérien des travailleurs de Lyon, sans néanmoins être disciple de Fourier, mais il ne se réunissait que deux fois par an, dans des banquets tolérés par le gouvernement ; enfin j’ai été membre de l’athénée magnétique qui n’était qu’une réunion scientifique. Il est vrai que j’ai concouru à la formation du club de l’égalité, devenu plus tard le club de la rue du Bœuf, mais les clubs étaient permis, j’ai usé d’un droit légitime et aucun de mes discours n’a été ni ne pouvait être incriminé ; au reste, tous ont été reproduits dans la Tribune Lyonnaise et je demande à être jugé sur mes propres écrits pendant la période qui a suivi la révolution de février ; on verra que, sans cesser d’être républicain, je n’ai jamais déserté la cause de l’ordre.

Demande. — Vous n’êtes pas incriminé pour vos écrits ni pour votre présence au club, mais on vous accuse d’avoir fait partie d’un club établi en permanence sur la place du Petit-Collége.

Réponse. — Permettez-moi quelques explications. Le jeudi, veille de l’insur-

  1. On m’a rapporté que ce chef de la police s’est permis de rudoyer, d’une manière outrageante et avec force injures contre moi, deux de mes amis, MM.  B… et G… qui allaient lui demander des permissions pour me voir. Cela m’étonne, car je n’ai jamais eu avec lui de rapports qui m’aient mis dans le cas de l’attaquer. Alors pourquoi se déclare-t-il mon ennemi ? Pensait-il, comme M. Villeneuve, que je ne recouvrerais jamais la liberté !
  2. Historique comme dit Mme Genlis. — Deux de mes compagnons ont été retenus, l’un pour sa barbe ; l’autre, parce que sa figure déplaisait ; en effet, il n’est pas beau, mais ce n’est pas une raison. Ils ont été mis en liberté après un simple interrogatoire.