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MON ARRESTATION.


Arrêtez, arrêtez toujours, la justice saura bien reconnaitre les innocents des coupables.
Variante des paroles d’un inquisiteur.


Le 18 juin, sur les neuf heures du matin, deux agents de police vinrent me dire qu’il fallait me rendre immédiatement au bureau de M. Villeneuve, commissaire pour l’arrondissement de la métropole. Cela était si pressé, selon eux, que je n’eus pas le temps de déjeûner. Mais pourquoi cela était-il donc-si pressé ? N’aurait-on pu me prévenir au moins la veille ? À cet égard je ferai une question toute naturelle, il me semble. La police devrait se dispenser d’arrêter si brusquement les gens qui ne se cachent pas. Plusieurs raisons militent en faveur de mon opinion.

Par exemple, M. Villeneuve me croit-il assez sot pour l’avoir attendu jusqu’au lundi matin, si j’avais pensé avoir quelque chose à craindre, et me croit-il assez ignorant pour croire n’avoir rien à craindre, si j’avais coopéré de manière ou d’autre à un complot avorté, à une insurrection vaincue ? Aurait-il été lui-même assez bonace pour rester dans son bureau, si la victoire eût prononcé en faveur des insurgés ? Pourquoi ne m’a-t-il pas supposé autant d’esprit qu’à lui, ce n’est pas être exigeant.

La police devrait donc se borner à arrêter ceux qui se cachent, et au besoin surveiller ceux sur qui elle a jeté son dévolu ; mais, pendant qu’elle arrête les hommes qu’elle rencontre à chaque instant du jour, elle avertit par ce fait les autres, et ils se cachent. Quant aux hommes compromis, ils sont tous partis avant que le juge ait eu le temps de signer les mandats d’arrêt.

Je reviens à mon arrestation. Amené en présence de M. Villeneuve, j’y trouvai ce fonctionnaire assis devant son bureau, et il commença à me demander mon nom et mon âge, puis sans entrer dans aucune explication, me fit conduire à l’hôtel-de-ville.

Encore une réflexion. Je préviens les lecteurs que ce ne sera pas la dernière. M. Villeneuve me reçut, son chapeau sur la tête, et ne daigna pas même se lever. Il me semble que pour être commissaire de police on n’a pas le droit d’être malhonnête. Le rédacteur de la Tribune lyonnaise accepte l’égalité, avec M. Villeneuve, par suite de sa profonde soumission à la Constitution… Sans cela, il croirait déroger ; qu’on veuille bien excuser ce mouvement d’un