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l’ardeur de son sang. Aussi l’ employait-on à des travaux manuels très pénibles, comme de couper des arbres ou de charroyer des pierres, car de tels exercices conviennent aux garçons que l’ardeur du sang tourmente et que la jeunesse enivre comme un vin.

Ainsi, presque sans y penser, Duccio pratiquait les vertus de l’Ordre : il était humble, parce qu’il vivait parmi les plus humbles des moines ; pauvre et se trouvant riche d’une vieille robe rapiécée ; chaste sans effort ni mérite, puisqu’il n’avait jamais parlé à aucune femme depuis la mort ,de sa mère. Il était donc parfaitement heureux et l’on espérait voir renaître en lui la naïveté du frère Genièvre et la pureté du frère Léon. Son plus grand plaisir était de chanter, à voix claire et belle, et de converser, en chantant, avec les plantes et les bêtes des bois. Souvent, à l’imitation du saint d’Assise, il prenait deux bâtons, l’un en guise de viole et l’autre en guise d’archet ; et, faisant vibrer des cordes imaginaires, il inventait des mélodies si touchantes qu’elle disposait tous les cœurs au plus tendre amour de Dieu.

Or, par une nuit de printemps, il arriva que le feu prit en un bois de pins, sur la pente de la montagne, et, gagnant d’arbre en arbre, menaça un petit hameau. Les paysans demandèrent du secours à l’abbé de la Verne, qui ne se contenta pas de prier et de faire sonner la cloche. Sachant que le Ciel aide celui qui s’aide lui-même, il envoya quatre moines, les plus jeunes et les plus robustes, au secours du village menacé. Ils partirent sous la conduite du vieux Père Bénédict, qui connaissait tous les sentiers de la Verne, et Duccio était parmi eux. Tandis que la cloche tintait, sinistrement, dans la froide nuit sans lune, et que l’incendie rougeoyait tout en bas, les moines, s’appuyant sur des bâtons, dévalaient en hâte, glissant, tombant, se relevant, s’accrochant aux genêts, frôlant des abîmes, mais indifférents au danger. La charité les transportait, brûlante comme l’incendie, et non toute pure cependant de complaisance et d’humaine curiosité, parce que ces novices étaient encore des enfants par l’âge et faciles à divertir. Parvenus au village dont les maisonnettes flambaient, ils firent bravement leur office. Les uns démolirent les murs et les toits qu’on ne pouvait plus défendre, afin de préserver le reste - ; les autres sauvèrent les gens et les bêtes. Avant l’aurore, le feu fut vaincu. Les paysans baisèrent les robes brûlées des Frères, qui reprirent la route du couvent à travers bois. Tout était bleu, paisible et frissonnant, dans le suave silence de l’aube où montait l’odeur du thym mouillé. Quelques étoiles parsemaient le ciel d’une rosée lumineuse. Des Alpes de la Serre au Pratomagne, la vallée n’était qu’un lac de brume et les crêtes émergeantes se dissolvaient en molles vapeurs. On eût dit que la figure du monde terrestre avait passé comme un rêve et que demeurait seulement, perdue dans l’infini du ciel, la montagne franciscaine avec ses noires forêts, son monastère et ses deux églises.

Les jeunes frères, las et ravis, goûtaient l’heure angélique de l’avant-matin ; et le Père Bénédict tirait des moindres circonstances un motif d’édification.

« Voyez, disait-il, mes petits frères, voyez les bêtes de la nuit, la chouette grise et la chauve-souris au vol anguleux, comme elles fuient le soleil devant même qu’il ne soit levé, et sitôt qu’elles pressentent l’ascen-