Page:Chasteau - La legende de Duccio et d Orsette.pdf/26

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Des mains très douces le soulevèrent un peu. Il but à longues gorgées.

La créature qui lui présentait l’écuelle était plus animale qu’humaine par la figure et l’accoutrement. De très longs cheveux couleur de toile d’araignée couvraient à demi son visage dont les os, saillants sous la peau terreuse, montraient le masque même de la mort. Un sac, serré par une corde, était tout son vêtement, d’où sortaient les jambes nues et les bras nus, pareils à des ceps de vigne.

— Qui es-tu, âme bienfaisante ? demanda Duccio, et quel est ce lieu ?

— Ne connais-tu pas, mon frère, la montagne appelée Secchiette qui appartient aux moines de Vallombreuse ? Je m’y suis retirée pour pleurer mes péchés et mener la vie érémitique, dans une cabane construite de mes mains. Les bons religieux m’envoient un pain tous les dimanches, que le porteur dépose sur une pierre, tandis que je reste cachée. Aussi, depuis bien longtemps, n’ai-je vu figure d’homme ou de femme, et n’ai-je parlé qu’à Dieu, Notre-Seigneur, et à ce petit faucon. C’est lui, le gentil compagnon, qui t’a découvert, gisant et pâmé. Il est venu m’en avertir par le mouvement de ses ailes et de son col. Dans son langage, il m’invitait à le suivre. Vois comme il est gai, maintenant, et comme il fait tinter sa clochette… Mais, puisque te voilà désaltéré, permets que je lave ta blessure et que j’y pose un bandage de feuilles dont la vertu arrêtera le flux du sang. Soulève-toi ! Je ne te ferai point de mal. J’ai mais soigner les corps souffrants, autrefois, quand j’étais femme. Duccio s’abandonnait aux mains de la Pénitente.

— Ô sainte, dit-il, quand tu étais femme, dans le monde, tu pratiquais déjà les œuvres de charité ?

— J’avais pitié des pauvres malades parce que je sentais mon âme toute lépreuse et puante de péchés. Ma vie était un scandale et ma beauté funeste un vase de corruption. Sache-le, mon frère : celle qui t’assiste a longtemps erré par les mauvaises routes avant de trouver Dieu.

— Et moi ! s’écria Duccio, et moi ! Je l’avais trouvé dès mon enfance. Ma mère mourante m’avait donné à saint François comme un agneau pour son bercail.

Des larmes coulèrent sur ses joues brûlées de fièvre :

— Ô sainte montagne de la Verne ! Ô chapelle des Stigmates où chaque jour et chaque nuit j’allais prier ! Hélas ! je ne vous reverrai plus. Une femme a traversé le chemin que je suivais sur les pas du Séraphique. Pour chercher cette femme, j’ai quitté la robe de bure et le cilice ; et jamais je ne l’ai rencontrée, mais je suis devenu impie, blasphémateur, luxurieux et meurtrier.

La Pénitente se redressa et, soutenant le blessé comme une mère son enfant, elle lui dit :

— Regarde devant toi, mon frère !

Elle désignait l’immense étendue des vallées et des montagnes qui se déroulait jusqu’à l’horizon du côté du soleil levant. Derrière une haute chaîne bleue, striée de neige, le ciel se dorait comme un tableau d’autel et de grands rayons semblaient jaillir d’une blessure vermeille. Plus bas, dans la conque ravinée où luisait un fleuve d’argent, des collines vertes portaient des villes et des villages, des châteaux, des tours, des campaniles ; et partout, en files noires, pointaient des cyprès.