Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 10.djvu/431

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

pétition et avis, invitait le Protecteur à prendre le titre de roi et à former une autre chambre, c'est-à-dire une espèce de chambre des pairs, composée de soixante-dix membres à la nomination de Cromwell.

Cromwell se crut obligé de refuser la couronne par un long et obscur discours, où l'on découvrait à la fois ses regrets de repousser le diadème et sa satisfaction de remettre au théâtre la parade de César. Il avait plusieurs fois fait traiter devant lui la question du meilleur gouvernement ; c'était à peu près à la même époque que le grand Corneille écrivait la scène de Cinna.

Buonaparte n'hésita pas à se couronner, soit qu'ayant plus de gloire il eût plus d'audace, soit que la France, plus malheureuse dans sa révolution que l'Angleterre ne l'avait été dans la sienne, craignît moins de perdre la liberté.

Le nouveau parlement confirma et conféra de nouveau à Cromwell le titre de Protecteur, avec la faculté de nommer son successeur, ce qui, par le fait, rendait le protectorat héréditaire. Ce parlement fut encore renvoyé à cause des alarmes qu'il inspira à son maître ; peut-être Cromwell en voulait-il secrètement à ces députés trop naïfs de ne lui avoir pas mis de force la couronne sur la tête. L'usurpation se livrait ainsi à ces fréquentes dissolutions qui avaient perdu la légitimité ; mais le bras de Cromwell était autrement puissant que celui de Charles ; ce bras pouvait soutenir debout des ruines qu'une force ordinaire n'aurait pu empêcher de tomber.

Mettez à part l'illégalité des mesures de Cromwell, illégalité dont, après tout, il était peut-être obligé d'user pour maintenir son illégale puissance, l'usurpation de ce grand homme fut glorieuse. Au dedans il fit régner l'ordre : comme beaucoup de despotes, il était ami de la justice en tout ce qui ne touchait pas à sa personne, et la justice sert à consoler les peuples de la perte de la liberté. Le fanatique, le régicide Cromwell, parvenu au pouvoir, fut tolérant en religion et en politique ; il fit passer le bill de la liberté de culte et de conscience ; il employa des royalistes avoués : Hale, magistrat intègre, zélé partisan des Stuarts, fut placé à la tête de la magistrature ; Monk, qui commanda les armées et les flottes du Protecteur, était un royaliste fait jadis prisonnier sur le champ de bataille par les parlementaires : il s'en souvint lors de la restauration.

Cromwell aimait et protégeait la noblesse anglaise. Cette noblesse ne périt point, comme de nos jours la noblesse française, parce qu'elle ne sépara pas tout à fait sa cause de la cause générale, et qu'en même temps la révolution de 1640, entreprise en faveur de la liberté, et non de l'égalité, n'était point dirigée contre l'aristocratie. Les Falkland,