Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 3.djvu/101

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questions sur des affaires dont je ne m’étais jamais occupé. Au lieu de me répondre, elle me vint tout à coup surprendre.

« Pour bien sentir quelle dut être dans la suite l’amertume de ma douleur et quels furent mes premiers transports en revoyant Amélie, il faut vous figurer que c’était la seule personne au monde que j’eusse aimée, que tous mes sentiments se venaient confondre en elle avec la douceur des souvenirs de mon enfance. Je reçus donc Amélie dans une sorte d’extase de cœur. Il y avait si longtemps que je n’avais trouvé quelqu’un qui m’entendît et devant qui je pusse ouvrir mon âme !

« Amélie se jetant dans mes bras me dit : « Ingrat, tu veux mourir, et ta sœur existe ! Tu soupçonnes son cœur ! Ne t’explique point, ne t’excuse point, je sais tout ; j’ai tout compris, comme si j’avais été avec toi. Est-ce moi que l’on trompe, moi qui ai vu naître tes premiers sentiments ? Voilà ton malheureux caractère, tes dégoûts, tes injustices. Jure, tandis que je te presse sur mon cœur, jure que c’est la dernière fois que tu te livreras à tes folies ; fais le serment de ne jamais attenter à tes jours. »

« En prononçant ces mots Amélie me regardait avec compassion et tendresse, et couvrait mon front de ses baisers ; c’était presque une mère, c’était quelque chose de plus tendre. Hélas ! mon cœur se rouvrit à toutes les joies ; comme un enfant je ne demandais qu’à être consolé ; je cédai à l’empire d’Amélie : elle exigea un serment solennel ; je le fis sans hésiter, ne soupçonnant même pas que désormais je pusse être malheureux.

« Nous fûmes plus d’un mois à nous accoutumer à l’enchantement d’être ensemble. Quand le matin, au lieu de me trouver seul, j’entendais la voix de ma sœur, j’éprouvais un tressaillement de joie et de bonheur. Amélie avait reçu de la nature quelque chose de divin ; son âme avait les mêmes grâces innocentes que son corps ; la douceur de ses sentiments était infinie ; il n’y avait rien que de suave et d’un peu rêveur dans son esprit ; on eût dit que son cœur, sa pensée et sa voix soupiraient comme de concert ; elle tenait de la femme la timidité et l’amour, et de l’ange la pureté et la mélodie.

« Le moment était venu où j’allais expier toutes mes inconséquences. Dans mon délire, j’avais été jusqu’à désirer d’éprouver un malheur, pour avoir du moins un objet réel de souffrance : épouvantable souhait que Dieu, dans sa colère, a trop exaucé !

« Que vais-je vous révéler, ô mes amis ! voyez les pleurs qui coulent de mes yeux. Puis-je même… Il y a quelques jours, rien n’aurait pu m’arracher ce secret… À présent, tout est fini !

« Toutefois, ô vieillards ! que cette histoire soit à jamais ensevelie