Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 3.djvu/102

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dans le silence : souvenez-vous qu’elle n’a été racontée que sous l’arbre du désert.

« L’hiver finissait lorsque je m’aperçus qu’Amélie perdait le repos et la santé, qu’elle commençait à me rendre. Elle maigrissait ; ses yeux se creusaient, sa démarche était languissante et sa voix troublée. Un jour je la surpris tout en larmes au pied d’un crucifix. Le monde, la solitude, mon absence, ma présence, la nuit, le jour, tout l’alarmait. D’involontaires soupirs venaient expirer sur ses lèvres ; tantôt elle soutenait sans se fatiguer une longue course ; tantôt elle se traînait à peine ; elle prenait et laissait son ouvrage, ouvrait un livre sans pouvoir lire, commençait une phrase qu’elle n’achevait pas, fondait tout à coup en pleurs, et se retirait pour prier.

« En vain je cherchais à découvrir son secret. Quand je l’interrogeais en la pressant dans mes bras, elle me répondait avec un sourire qu’elle était comme moi, qu’elle ne savait pas ce qu’elle avait.

« Trois mois se passèrent de la sorte, et son état devenait pire chaque jour. Une correspondance mystérieuse me semblait être la cause de ses larmes, car elle paraissait, ou plus tranquille, ou plus émue, selon les lettres qu’elle recevait. Enfin, un matin, l’heure à laquelle nous déjeunions ensemble étant passée, je monte à son appartement ; je frappe : on ne me répond point ; j’entrouvre la porte : il n’y avait personne dans la chambre. J’aperçois sur la cheminée un paquet à mon adresse. Je le saisis en tremblant, je l’ouvre, et je lis cette lettre, que je conserve pour m’ôter à l’avenir tout mouvement de joie.

à rené.

« Le ciel m’est témoin, mon frère, que je donnerais mille fois ma vie pour vous épargner un moment de peine ; mais, infortunée que je suis, je ne puis rien pour votre bonheur. Vous me pardonnerez donc de m’être dérobée de chez vous comme une coupable ; je n’aurais jamais pu résister à vos prières, et cependant il fallait partir… Mon Dieu, ayez pitié de moi !

« Vous savez, René, que j’ai toujours eu du penchant pour la vie religieuse ; il est temps que je mette à profit les avertissements du ciel. Pourquoi ai-je attendu si tard ! Dieu m’en punit. J’étais restée pour vous dans le monde… Pardonnez, je suis toute troublée par le chagrin que j’ai de vous quitter.

« C’est à présent, mon cher frère, que je sens bien la nécessité de