Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 3.djvu/137

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religion de leurs pères. « Sois chrétien, » disait Blanca ; « Sois musulmane, » disait Aben-Hamet : et ils se séparèrent encore une fois sans avoir succombé à la passion qui les entraînait l’un vers l’autre.

Aben-Hamet reparut la troisième année, comme ces oiseaux voyageurs que l’amour ramène au printemps dans nos climats. Il ne trouva point Blanca au rivage, mais une lettre de cette femme adorée apprit au fidèle Arabe le départ du duc de Santa-Fé pour Madrid et l’arrivée de don Carlos à Grenade. Don Carlos était accompagné d’un prisonnier français, ami du frère de Blanca. Le Maure sentit son cœur se serrer à la lecture de cette lettre. Il partit de Malaga pour Grenade avec les plus tristes pressentiments. Les montagnes lui parurent d’une solitude effrayante, et il tourna plusieurs fois la tête pour regarder la mer qu’il venait de traverser.

Blanca, pendant l’absence de son père, n’avait pu quitter un frère qu’elle aimait, un frère qui voulait en sa faveur se dépouiller de tous ses biens et qu’elle revoyait après sept années d’absence. Don Carlos avait tout le courage et toute la fierté de sa nation : terrible comme les conquérants du Nouveau-Monde, parmi lesquels il avait fait ses premières armes ; religieux comme les chevaliers espagnols vainqueurs des Maures, il nourrissait dans son cœur contre les infidèles la haine qu’il avait héritée du sang du Cid.

Thomas de Lautrec, de l’illustre maison de Foix, où la beauté dans les femmes et la valeur dans les hommes passaient pour un don héréditaire, était frère cadet de la comtesse de Foix et du brave et malheureux Odet de Foix, seigneur de Lautrec. À l’âge de dix-huit ans, Thomas avait été armé chevalier par Bayard, dans cette retraite qui coûta la vie au Chevalier sans peur et sans reproche. Quelque temps après, Thomas fut percé de coups et fait prisonnier à Pavie, en défendant le roi chevalier qui perdit tout alors, fors l’honneur.

Don Carlos de Bivar, témoin de la vaillance de Lautrec, avait fait prendre soin des blessures du jeune Français, et bientôt il s’établit entre eux une de ces amitiés héroïques dont l’estime et la vertu sont les fondements. François Ier était retourné en France, mais Charles Quint retint les autres prisonniers. Lautrec avait eu l’honneur de partager la captivité de son roi et de coucher à ses pieds dans la prison. Resté en Espagne après le départ du monarque, il avait été remis sur sa parole à don Carlos, qui venait de l’amener à Grenade.

Lorsque Aben-Hamet se présenta au palais de don Rodrigue et fut introduit dans la salle où se trouvait la fille du duc de Santa-Fé, il sentit des tourments jusque alors inconnus pour lui. Aux pieds de dona Blanca était assis un jeune homme qui la regardait en silence, dans