Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 3.djvu/138

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une espèce de ravissement. Ce jeune homme portait un haut-de-chausses de buffle et un pourpoint de même couleur, serré par un ceinturon d’où pendait une épée aux fleurs de lis. Un manteau de soie était jeté sur ses épaules, et sa tête était couverte d’un chapeau à petits bords, ombragé de plumes ; une fraise de dentelle, rabattue sur sa poitrine, laissait voir son cou découvert. Deux moustaches noires comme l’ébène donnaient à son visage naturellement doux un air mâle et guerrier. De larges bottes qui tombaient et se repliaient sur ses pieds portaient l’éperon d’or, marque de la chevalerie.

À quelque distance, un autre chevalier se tenait debout appuyé sur la croix de fer de sa longue épée : il était vêtu comme l’autre chevalier, mais il paraissait plus âgé. Son air austère, bien qu’ardent et passionné, inspirait le respect et la crainte. La croix rouge de Calatrava était brodée sur son pourpoint avec cette devise : Pour elle et pour mon roi.

Un cri involontaire s’échappa de la bouche de Blanca lorsqu’elle aperçut Aben-Hamet. « Chevaliers, dit-elle aussitôt, voici l’infidèle dont je vous ai tant parlé : craignez qu’il ne remporte la victoire. Les Abencerages étaient faits comme lui, et nul ne les surpassait en loyauté, courage et galanterie. »

Don Carlos s’avança au-devant d’Aben-Hamet. « Seigneur Maure, dit-il, mon père et ma sœur m’ont appris votre nom ; on vous croit d’une race noble et brave ; vous-même, vous êtes distingué par votre courtoisie. Bientôt Charles Quint, mon maître, doit porter la guerre à Tunis, et nous nous verrons, j’espère, au champ d’honneur. »

Aben-Hamet posa la main sur son sein, s’assit à terre sans répondre, et resta les yeux attachés sur Blanca et sur Lautrec. Celui-ci admirait, avec la curiosité de son pays, la robe superbe, les armes brillantes, la beauté du Maure ; Blanca ne paraissait point embarrassée ; toute son âme était dans ses yeux : la sincère Espagnole n’essayait point de cacher le secret de son cœur. Après quelques moments de silence, Aben-Hamet se leva, s’inclina devant la fille de don Rodrigue, et se retira. Étonné du maintien du Maure et des regards de Blanca, Lautrec sortit avec un soupçon qui se changea bientôt en certitude.

Don Carlos resta seul avec sa sœur. « Blanca, lui dit-il, expliquez-vous. D’où naît le trouble que vous a causé la vue de cet étranger ? »

« Mon frère, répondit Blanca, j’aime Aben-Hamet ! et s’il veut se faire chrétien, ma main est à lui. »

« Quoi ! s’écria don Carlos, vous aimez Aben-Hamet ! la fille des Bivar aime un Maure, un infidèle, un ennemi que nous avons chassé de ces palais ! »